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IMPRESSIONS DE VOYAGES.

À vingt pas de l’auberge, nous trouvâmes la grande fontaine de Saint-Laurent, qui alimente les bains ; quant aux douze ou quinze autres sources d’eaux thermales qui jaillissent dans les environs, elles se perdent sans utilité dans la Dala, et personne n’a jamais songé à en tirer parti.

L’aspect des bains de Louësche est tout différent de celui qu’offrent ordinairement les établissemens de ce genre : l’ablution s’y fait, non dans des cabinets séparés comme à Aix, mais en commun, hommes et femmes mêlés, ce qui offre un coup d’œil tout patriarcal.

Qu’on se figure un bassin de l’école de natation, entouré d’une galerie dallée, avec deux ponts perpendiculaires l’un à l’autre, qui, par leur réunion, forment une croix latine, et dans chacun de leurs compartimens, une trentaine de baigneurs, entassés les uns sur les autres, ce qui fait, pour les quatre, un total de cent vingt personnes hermétiquement enfermées dans des peignoirs de flanelle, et ne laissant paraître à fleur d’eau qu’une collection de têtes emperruquées ou embéguinées, plus grotesques les unes que les autres. Ajoutez à cela que chacune de ces têtes a devant elle une planche de liège ou de sapin, sur laquelle, à l’aide de mains dont on ne voit pas les bras, elle fait son petit ménage, mange, boit, tricote, joue aux cartes, etc., etc., et cela avec d’autant plus d’aisance et de facilité qu’elle possède en outre un siége mobile qui lui sert à changer de station, avec lequel elle s’établit à sa convenance, tantôt dans un coin, tantôt dans un autre, n’ayant à transporter, pour rendre le déménagement complet, que sa petite table qui la suit au moyen d’un fil, et le tabouret invisible sanglé à la partie du corps qui ne paraît pas à la surface de l’eau. Du reste, la fréquence de ces déplacemens varie avec le caractère des baigneurs. Il y a tel personnage morose qui fait ses deux heures le nez tourné vers la cloison et sans bouger du coin où il s’est mis ; tel politique qui s’endort en lisant son journal dont la partie inférieure trempe dans l’eau et se trouve décomposée jusqu’au titre, lorsqu’il se réveille ; tel brouillon qui se promène en tout sens, ayant toujours quelque chose à dire au baigneur le plus éloigné, heurtant et culbutant tout pour arriver jusqu’à lui, parlant à la fois à son enfant qui pleure sur le pont,