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à sa femme qui ne sait jamais où le retrouver, et à son chien qui hurle en tournant autour de la galerie.

Les trois premiers bassins que je visitai m’offrirent, l’un après l’autre, le même aspect ; le dernier seulement me présenta un épisode que je n’oublierai jamais.

Au milieu de ces têtes bouffonnes apparaissait la figure mélancolique et pâle d’une jeune fille de dix-huit ans à peu près : elle ne cachait ses cheveux noirs ni sous le bonnet, ni sous la coiffe des autres baigneurs ; sa petite table était chargée, non de verres et de tasses, mais de rhododendron, de gentiane et de myosotis, dont elle faisait un bouquet. L’eau thermale donnait à ces plantes un éclat et une fraîcheur qu’elle ne pouvait lui rendre à elle-même ; on l’eût prise pour une fleur morte et séparée de sa tige, au milieu de ces fleurs vivantes dont elle ornait son front et sa poitrine en chantant, comme Ophelia, folle et prête à mourir, lorsque sa tête et ses mains seules sortaient encore du ruisseau où elle se noya.

Il est possible que, si j’eusse rencontré cette jeune fille à la promenade, au bal, au spectacle, partout ailleurs enfin que dans cette réunion, je ne l’eusse pas même remarquée ; sa taille m’eût peut-être paru gauche, sa démarche commune, sa voix prétentieuse ; elle eût passé devant mes yeux comme devant un miroir, s’y réfléchissant sans y laisser de souvenir ; mais là, mais dans ce cadre sculpté par Callot, je verrai toujours cette vierge de Raphaël.

Après l’avoir bien regardée, je fermai les yeux, et je m’éloignai sans demander son nom ni son âge ; à peine eus-je fait quatre pas que j’entendis le médecin dire en parlant d’elle : Dans un mois elle sera morte.

J’étouffais dans cette atmosphère tiède, entre ces murs humides je sortis tout baigné de sueur. — Le ciel avait son voile d’azur, la terre sa robe de fête.

Dans un mois elle sera morte !

Morte au milieu de cette nature si jeune, si robuste et si vivante ! Je passai devant le cimetière, et ces paroles revinrent me frapper comme un écho.

Dans un mois elle sera morte !

Ainsi à compter d’aujourd’hui, le père et la mère de cette enfant chérie peuvent faire venir le fossoyeur et lui dire : Mettez-vous à