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IMPRESSIONS DE VOYAGES.

mélange avec une gravité qui faisait le bonheur de ces dames. Déjà l’omelette cuisait dans le beurre, et tout le monde me regardait avec un intérêt croissant, lorsque M. Brunton interrompit le silence général ;

— Monsieur, me dit-il, serait-il bien indiscret de vous demander qui nous avons l’honneur d’avoir pour cuisinier ?

— Oh ! mon Dieu, non, monsieur.

— C’est que je suis convaincu que je vous ai rencontré à Paris.

— Et moi aussi. — Ayez la bonté de me passer le beurre. — Merci. — J’en fis glisser quelques morceaux sous l’omelette qui commençait à prendre, afin qu’elle ne tînt point à la poêle.

— Et je suis sûr que si vous me disiez votre nom…

— Alexandre Dumas.

— L’auteur d’Antony, s’écria madame Brunton.

— Lui-même, répondis-je en mettant dans le plat l’omelette parfaitement cuite, et en la posant sur la table.

N’entendant aucune félicitation ni pour le drame ni pour l’omelette, je levai les yeux ; la société était stupéfaite. Il paraît qu’on s’était fait de ma personne une idée beaucoup plus poétique que ne le comportait le prospectus que je venais d’en donner. Par malheur, l’omelette se trouva excellente. Les dames la mangèrent jusqu’au dernier morceau.


xiv.

Le Pont du diable.


En quittant ces dames le soir, j’avais obtenu d’elles la permission de les voir le lendemain matin. Je me présentai donc chez elles aussitôt que je les sus visibles.

Elles étaient tout-à-fait remises de leur mauvaise route et de leur mauvais dîner ; il n’y avait que M. Kœfford qui, ayant passé la nuit au milieu de ses cartes et de ses itinéraires, paraissait beaucoup plus fatigué que la veille.