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dont ces messieurs n’aient doctement étudié la saveur ; pas un bon morceau qui n’ait trouvé place dans leur cuisine ; et cependant le peuple croit à leur sainteté, les adore, les révère, eux qui ne donneraient pas un verre d’eau pour secourir cent hommes mourans ; ils se maintiennent en grade, ils grandissent en honneurs, ils s’élèvent en richesse et font la nique à tous ceux qui, comme vous et moi, ont percé à jour leur fourberie. — Adieu, mon frère, c’est un bonheur après tout de ne pas leur ressembler. »

Pour stimuler la munificence des chrétiens, il les menace de se réfugier à Constantinople et de s’y faire musulman. Lisez son hypocrite lettre au cardinal de Trente :

« Le voilà, ce pauvre Arétin, ce malheureux vieillard, qui n’est connu de par le monde que pour avoir dit la vérité sans crainte, et qui s’en va en Turquie chercher du pain. Il quitte les princes chrétiens, qui prodiguent leurs trésors aux adulateurs, aux parasites, aux hypocrites, aux fourbes, aux voleurs ; pour ces sortes de gens les mains sérénissimes sont toujours ouvertes. Oui, j’irai à Constantinople, monseigneur, j’irai sous votre permission ; et pendant que les misérables tireront vanité des richesses que leurs vices leur ont values, je montrerai, moi, les blessures que m’ont values ma vertu et mes talens. Les Ottomans, qui ne sont que des bêtes féroces, auront pitié de ce spectacle qui ne touche pas les seigneurs de la chrétienté. Pour moi, soyez sûr, grand cardinal, que j’irai prêcher votre gloire et votre magnificence à travers l’Orient. Ce que je regrette en faisant divorce, et peut-être pour toujours, avec l’Italie ingrate envers moi, c’est de ne pas vous laisser un assez éclatant témoignage de mon adoration.

« Quant aux cent écus que vous me promettez, ma pauvre vieillesse en a bien besoin. »

Le même mépris de toutes les religions, le même amour des voluptés se montre encore plus à nu dans une lettre adressée à un de ses compagnons de débauche.

« Ma foi, mon cher, que les princes et les peuples fassent comme ils voudront ; ils savent que je me ris de leur grandeur et de leur blâme, et que je suis parti sans dire un mot à l’empereur Charles-Quint, de peur qu’il ne lui prît envie de m’emmener avec lui. Peut-être, si j’avais tout ce qu’il me faut de pain et de viande,