Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/753

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
753
L’ARÉTIN.

Comment une telle école n’aurait-elle pas jailli du foyer italien ; fatigué de riche civilisation ; lançant au loin mille rayons bizarres ; — d’où se répandaient sur l’Europe rêveurs et fous, — astrologues et bouffons — Luc Gauric et Merlin Coccaie — le Cardan et Jordan Bruno ? — Tous ils vivaient aux dépens des autres, payés, bâtonnés, brûlés, maltraités, bien nourris, célèbres, emprisonnés tour-à-tour. J’ai fait voir comment était éclos, des fruits les plus curieux de cette civilisation, l’Arétin. Il s’est le premier servi de la presse, comme le brigand espagnol se sert de l’escopette. Il n’avait pas mal choisi son temps. On ne respectait que trois choses : la Science, la Presse, l’Art ! Fausto, professeur à Venise, obtenait du sénat la permission de faire construire une quinquérème antique aux frais du gouvernement vénitien ; on la fit jouter contre des bâtimens plus légers ; Fausto commanda la manœuvre et gagna la victoire. Étrange combat, qui prouve assez la puissance de l’érudition à cette époque[1]. Dans cet énorme mouvement d’idées régnaient les Fallope, les Cardan, les Aldrovande ; mais nul centre, nulle moralité, nulle fixité. Imperia, la fameuse courtisane, était aimée à la fois de Beroalde le professeur et de Sadolet le cardinal. Peu importaient le vice ou la vertu, pourvu que l’on eut du talent ou que l’on parut en avoir. Les aventuriers de l’érudition faisaient fortune ; souvent fripons, comme Panurge, besoigneux comme lui, quelquefois savans. Ils attrapaient la barrette comme une bague à la course ; c’est ce que firent Margounios, évêque de Cythère, et plusieurs autres. Dans ce grand chaos, il y avait une place à prendre.

Arétin le sentit et se fit roi d’une littérature immonde, de la littérature sotadique, priapique ; de cette littérature qui correspond à nos plaisirs grossiers, qui satisfait la brute alliée à l’homme, l’animal qui est en nous, nos sens déchaînés. Quand toutes les forces de la nature étaient déifiées, comme elles partageaient le trône avec d’autres forces intelligentes et éthérées, elles n’étaient point si atroces. À côté de Priape, Vénus Uranie. À côté de Cloacine, Junon la fière. À côté de Vénus publique, Vénus céleste. On a vu plus haut, comment chez les chrétiens le sensualisme orgiaque

  1. P. degli agostini scrittori Veneziani.