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REVUE. — CHRONIQUE.

tie de l’ouvrage. Sans doute que cette incertitude dans l’intonation provient de la fatigue. Elle est d’ailleurs si peu sensible, que jamais le public ne la remarque, et c’est lui rendre un mauvais service que de l’en instruire ; car il doit penser avec raison qu’il vaut mieux se laisser enchaîner par ses sensations, que de les analyser, et que c’est une triste chose d’en être venu à ce point de scrupule, qu’un ut naturel donné pour un ut dièze, vous arrête au milieu d’une noble jouissance et glace toute votre admiration.

J’arrive enfin à Sémiramis, autre chef-d’œuvre d’un homme qui en a tant écrit.

Par la grandeur et l’élévation du style, Sémiramis appartient au genre épique, à la seconde manière de Rossini, et se place entre Moïse et Guillaume Tell. Certes, je suis bien loin de soutenir que Sémiramis soit une œuvre irréprochable et complète, comme le Don Juan de Mozart, par exemple, une musique arrêtée où chaque mélodie a son expression, chaque note son but ; Sémiramis est une œuvre inégale, où de grandes beautés touchent bien souvent aux plus étranges négligences, et dont les développemens s’étendent plus d’une fois jusqu’à la diffusion. N’importe, malgré tous ses défauts, cette œuvre est destinée à vivre, parce qu’après tout, le sentiment en est profond et vrai. Parmi les partitions de Rossini, je sais qu’il en est de plus régulières, et dont la forme s’accorde mieux avec le goût et les habitudes d’un public français : dans ce nombre, on peut citer Tancredi, Otello, la Gazza : mais j’aime surtout Sémiramis, parce que là je retrouve Rossini tout entier avec les fraîches imaginations de la jeunesse, et la pensée austère et profonde de la maturité ; et si de toutes ses partitions, ce qu’à Dieu ne plaise, il ne devait en rester qu’une seule, c’est celle-là que je voudrais choisir comme la plus capable de donner une idée, à l’avenir, du génie inégal de cet homme étonnant. Toute l’introduction est peinte avec les plus éclatantes couleurs. Rossini a fait preuve d’une habileté rare dans l’ordonnance de ce bel acte, qui s’ouvre par des chants de fête et se termine par les lamentations de l’ombre et toutes les terreurs religieuses du mystérieux Orient. On dirait que ces mélodies joyeuses et triomphales serpentent comme des rayons de lumière sur le fond obscur et ténébreux du finale. Quel chef-d’œuvre que ce finale ! Comme le maître vous élève par ce chant grave et solennel ! comme il prépare votre âme aux grandes émotions ! La phrase qui précède le serment se développe avec grandeur et magnificence ; la rentrée en est surtout admirable. La valeur d’une note semble bien chétive dans une partition comme Sémiramis, c’est un grain de sable perdu dans l’Océan ; eh bien ! il faut avoir entendu cette phrase dont je parle pour comprendre quelle perle divine peut