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Dante.

leurrait souvent dans ses espérances, et se débattait avec énergie contre les tristes conséquences de ses mécomptes.

Nous avons vu qu’en 1313, aussitôt après la mort de l’empereur Henri vii, il s’était rendu à Ravenne, auprès de Guido Novello, qui, n’étant alors revêtu d’aucune autorité, n’avait peut-être point eu de protection bien efficace à lui offrir. Il retourna à Ravenne, vers la fin de 1319 ou en 1320, et trouva cette fois Guido en possession de la seigneurie, avec Ostasio da Polenta, son cousin. Les deux chefs lui firent un accueil bienveillant qu’il put reconnaître par ses services.

La domination des Polentani s’étendant à divers lieux, le long des côtes de l’Adriatique, il en était naturellement résulté de fréquentes relations entre ces seigneurs et la république de Venise ; et il paraît certain que Guido Novello se prévalut du séjour de Dante chez lui, pour l’envoyer plus d’une fois en qualité de négociateur à Venise. Mais c’est là tout ce que l’on peut dire de ces ambassades. Les documens que l’on a essayé d’y rattacher sont indubitablement controuvés, et ne méritent aucune attention. Il n’y a donc pas lieu de citer ici la diatribe contre le sénat vénitien, que le Doni publia au xvie siècle, comme une lettre écrite par Dante à Guido Novello da Polenta, pour lui rendre compte d’une mission dont il aurait été chargé par lui. — Cette lettre, sujet de discussions multipliées, est une imposture qui ne soutient pas l’examen, et à laquelle il est inutile de s’arrêter.

Bien que décousues et obscures, les particularités du dernier séjour de Dante à Ravenne méritent d’être recueillies avec scrupule. Son premier soin, dans ce nouvel asile, fut d’y réunir sa famille. Il la trouva diminuée par les fléaux du temps : ses deux plus jeunes fils étaient morts de la peste, à l’âge, l’un de huit ans, l’autre de douze. Donna Gemma, sa femme, avait peut-être aussi succombé ; on ne trouve du moins plus aucune mention d’elle, à partir de l’an 1308, et tout autorise à penser que Dante ne la revit plus. Alors ses deux fils les plus âgés, Jacques et Pierre, qui avaient atteint l’âge viril, purent seuls le rejoindre à Ravenne, avec leur sœur Beatrix, âgée de dix-huit ou dix-neuf ans. Outre ses trois enfans, Dante eut avec lui à Ravenne quelques amis dévoués, et entre autres, un certain Dino di Pierini, Florentin, probablement exilé comme lui, mais qui rentra depuis à Florence, où Boccace le connut, et put apprendre de lui diverses particularités du séjour de Dante à Ravenne. Ce fut peut-être de ce témoin que l’auteur du Décameron apprit ce qu’il rapporte si vaguement d’une école de poésie créée par Dante à Ravenne. Mais cette école n’ayant point laissé de trace dans la littérature italienne, il n’y a pas lieu d’attacher à ce fait beaucoup d’importance.

Dans une situation pareille, Dante semblait jouir de toutes les douceurs