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premiers mois de l’année 1321. À peine l’eut-il terminé, qu’il quitta Ravenne pour se rendre dans quelque autre ville de l’Italie, mais on ne peut dire avec assurance dans laquelle : il est seulement très probable que ce fut à Venise ; et, dans ce cas, on peut être certain qu’il y fut envoyé par Guido Novello, pour y traiter de quelque affaire avec le sénat de la république. Quelle fut l’issue de la mission, si mission il y eut, c’est ce que l’on ignore. Une seule chose est certaine, c’est que l’absence de Dante, quel qu’en fut le motif, fut courte : il revint en hâte à Ravenne, et à peine y était-il de retour, qu’il fut atteint de la maladie dont il ne devait pas se relever : il mourut le 14 septembre de cette même année 1321.

Guido Novello se piqua de tenir au mort la promesse qu’il avait faite au vivant : les funérailles de Dante furent le sombre et froid simulacre d’un triomphe poétique. Il fut porté en terre sur un char richement décoré, magnifiquement vêtu, couronné de laurier, et un volume ouvert sur sa poitrine. Il fut enseveli dans le cimetière de l’église des Frères Mineurs, sous l’habit desquels il paraît qu’il avait voulu mourir.

Pour dire quelques mots de l’extérieur et des manières de Dante, je ne puis que citer ce qu’en a dit Boccace, qui seul a pu en apprendre et en dire quelque chose.

Dante était de taille moyenne et légèrement voûté : sa démarche était noble et grave, son air bienveillant et doux. Il avait le nez aquilin, les yeux grands, la figure longue, et la lèvre inférieure un peu saillante sur la lèvre supérieure. Il avait le teint très brun, la barbe et les cheveux noirs, épais et crépus.

Sa physionomie était celle d’un homme mélancolique et pensif. Naturellement rêveur et taciturne, il ne parlait guère à moins d’être interrogé ; et souvent absorbé comme il l’était dans ses réflexions, il n’entendait pas toujours les questions qui lui étaient faites.

Il aimait passionnément tous les beaux-arts, ceux mêmes qui n’avaient pas un rapport immédiat avec la poésie, comme la peinture. Il avait pris dans sa jeunesse des leçons de Cimabue, le dernier et le plus célèbre des peintres qui travaillèrent dans ce que l’on appelle la manière grecque : il fut ensuite très lié avec Giotto, le successeur de Cimabue qu’il éclipsa, et le véritable créateur de la peinture moderne.

Dante eut aussi des liaisons intimes avec les musiciens et les chanteurs renommés de son temps. Doué lui-même d’une belle voix, il chantait agréablement et chantait volontiers ; c’était sa manière favorite d’épancher les émotions de son âme, surtout quand elles étaient douces et heureuses.

Fauriel.