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éclater en orage. Voudrait-on bien nous dire quel a été le résultat d’une certaine note présentée au roi par le maréchal Mortier ? Pourrait-on nous expliquer le motif de la correspondance privée et si active qui se poursuit en ce moment entre Louis-Philippe et le maréchal duc de Dalmatie, correspondance protégée sous main par M. Thiers ? Si l’impuissance du maréchal Mortier, son état maladif, ne lui permettent pas de garder un double ministère et la grande chancellerie de la légion-d’honneur, il faudra bien le remplacer. Le maréchal Mortier est homme d’honneur et de pudeur, il sent tout le ridicule du rôle qu’il joue et à la tribune et dans les bureaux de la guerre. Il a pu se prêter à une office de bon serviteur de la couronne, mais il ne veut pas faire rougir la fin d’une vie qui ne fut pas sans gloire.

Cependant, tel qu’il est aujourd’hui placé, le ministère, je le crois, à moins d’une crise imminente à l’extérieur, traversera la session. Pour le juger ainsi, je n’examine point la majorité qui le soutient, car cette majorité il la doit à des causes étrangères à lui-même ; il faut peser surtout la situation des esprits et l’état de l’opinion. Ce qui a spécialement fortifié la combinaison ministérielle d’aujourd’hui, c’est le spectacle que les dernières tourmentes du cabinet ont offert ; on se blase facilement en France ; autrefois un changement ministériel était une émotion, soulevait une curiosité soudaine, un intérêt désireux de juger les résultats d’un nouvel arrangement de cabinet ; ces émotions sont aujourd’hui usées ; il y a fatigue de ces petites révolutions de coulisses où s’agitent les acteurs parlementaires ; le pays est indifférent aux noms propres ; il ne s’inquiète que de son repos ; il en était venu à ce point, dans les quinze jours de la crise ministérielle, qu’on se demandait chaque soir avec moins d’intérêt que pour un mime d’un théâtre des boulevards : « Eh bien ! quel ministre avons-nous pour demain matin ? »

Dans cette lassitude des esprits, dans cette indifférence profonde pour toute combinaison de cabinet, le public se dit : « Puisque ceux-là y sont, qu’ils y restent ; qui sait ? s’il y avait encore un changement, cela dérangerait les étrennes du jour de l’an et le plaisir du carnaval. » Nous voulons le repos à tout prix, comme la paix en Europe ; la chambre partage cette conviction avec le pays ; elle craint de déranger quelque chose à l’édifice gouvernemental ; elle a peur du bruit, elle a horreur de tout changement, d’une modification de choses ou d’hommes.

D’ailleurs, pour qu’un ministère neuf remplace une administration usée, pour qu’il rallie autour de lui d’avance une majorité naturelle et compacte, il est essentiel qu’il se trouve des hommes qui veuillent officiellement le pouvoir, et osent le dire haut. En Angleterre, pays