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Nous venons de voir cette juridiction s’exercer en deux circonstances sérieuses : le procès contre le National, et la procédure si bien nommée le procès-monstre ; car lorsque l’histoire, détachée des petites passions contemporaines, aura à réfléchir et à planer sur le temps présent, elle pourra rappeler, avec une douloureuse indignation, qu’une assemblée législative fut obligée de voter des fonds afin de construire une salle assez vaste pour contenir les accusés dans un procès criminel. La plainte de M. Philippe de Ségur contre le National n’a point été concertée ; elle a été la suite d’un de ces mouvemens intempestifs qui fermentent aujourd’hui dans certaines têtes de l’empire contre les progrès de la liberté au-dessus de leur intelligence. Le National avait rapporté un fait historique, un de ces faits terribles qui pèsent horriblement sur le passé d’une assemblée ; or, voici dans quelle position se trouvait cette assemblée par rapport au fait dénoncé :


Pairs ayant voté la mort du maréchal Ney existant encore dans la chambre, absens ou assistant au procès du National.
41
Fils ou successeurs de la pairie des votans.
18
Votans pour une peine.
7
Votans pour l’incompétence et l’acquittement,
5
Fils de ceux qui ne votèrent pas la mort, Laujuinais, etc.
2


Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que les pairs éliminés, comme ayant été nommés par Charles x, et par conséquent les plus royalistes de l’assemblée, n’ont pu prendre part au vote de mort, leur nomination étant postérieure ; ceux qui condamnèrent le maréchal Ney appartenaient spécialement à l’ancien sénat de l’empire ; ils se composaient de quelques généraux et maréchaux que la restauration avait jetés à la chambre des pairs, lors de la fournée dite de M. de Talleyrand, en 1815. Il n’y avait dans toute cette chambre des pairs qu’un nom éclatant de loyauté qui pût lever le front haut devant les souvenirs de ce procès du maréchal Ney ; c’était celui du vieux Moncey, refusant d’assister au conseil de guerre pour juger un glorieux camarade, et subissant la destitution et un emprisonnement de trois mois pour cette honorable violation de la discipline militaire.

C’est en présence d’une cour judiciaire, composée de tels élémens, que le gérant du National était traduit sur une plainte en diffamation. Je ne sais comment ces vieux débris de tant de systèmes déchus ont le sentiment des sympathies publiques ; je ne sais s’ils sentent d’une autre manière que le commun des hommes, mais il est impossible de s’expliquer par quel motif la cour des pairs a pu se décider à une telle poursuite. Je pense qu’avec