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cier, tant qu’il le peut, des complices. Qu’est-il ensuite arrivé ? c’est que le pouvoir, voyant le mauvais effet produit par tout ce qui s’est passé à la chambre des pairs, l’a abandonnée à son tour. Il y a eu des réprimandes faites à M. Pasquier ; des réclamations sont venues se joindre aux protestations, et la cour des pairs s’est ainsi sacrifiée pour un ministère qui ne lui en sait aucun gré. Que M. Pasquier y prenne garde, c’est une rude tâche qu’il s’est imposée : il n’était pas parmi les juges du maréchal Ney, il est par trop généreux à lui de vouloir se faire le patron complaisant de la sentence. Servir le pouvoir est une bonne et grande chose, et nous ne sommes pas de ceux qui en veulent la déconsidération systématique ; mais il faut le servir en conservant sa dignité, en le sauvant de ses propres écarts, en le présentant aux yeux de la société, non dans une petite vengeance étroite et sans motif, mais dans l’appui franc et généreux donné à toutes les nobles choses, à toutes les fortes idées.

Que dire du procès de la grande conspiration ? S’il était permis de mêler quelques idées plaisantes à un sujet aussi déplorable, je pourrais rappeler que dans ce mémorable procès il y a deux choses pourtant essentielles qui manquent, les juges et le lieu des séances du tribunal. Chacun sait qu’en matière criminelle il faut que les juges et les jurés aient assisté à tous les développemens de l’accusation et de la défense : or, comme chaque jour plusieurs pairs ne répondent point à l’appel nominal, que de cent quatre-vingts, qui était le résultat du premier appel, les pairs sont réduits à cent dix-neuf, il pourrait bien arriver qu’ils ne pussent plus se réunir en nombre suffisant pour continuer raisonnablement une poursuite et prononcer l’arrêt. Ceux qui connaissent le personnel de la chambre doivent savoir qu’elle se compose en majorité de vieillards malades, rachitiques, qu’un rhume retient au lit, qu’une goutte paralyse ; le Luxembourg est loin ! les républicains ont des faces bien terribles ! Des souvenirs doivent rester dans leur mémoire ! la rue peut encore s’émouvoir ! et tout cela doit retenir des corps et des ames qui ont besoin de s’envelopper dans du coton. On verra donc successivement s’abaisser le chiffre des présens ; en face de trois cents accusés, qui sait ? peut-être il n’y aura plus que quatre-vingts juges. M. Decazes et M. Pasquier sont actifs ; leur correspondance pourra stimuler le zèle de quelques tièdes magistrats ; cela suffira-t-il ? nous le croyons à peine. La chambre des députés donnera les moyens de faire une salle ; mais faire des juges, c’est plus difficile, et les supplications, émaneraient-elles même d’une bouche auguste, n’auraient pas la vertu magique de donner la santé et le courage à MM. les pairs. Voyez comme il sera beau de voir peut-être des hommes accusés et condamnés par une cour dont chaque membre sera fonctionnaire public et salarié, recevant un traitement fixe des mains du pouvoir qui poursuit !