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REVUE. — CHRONIQUE.

Puisque je viens de parler de la salle des séances, il faut pénétrer dans cette affaire, qui est toute une histoire des soucis de M. de Sémonville et de son successeur, M. Decazes. Quand on s’est aperçu que le local des séances ordinaires était insuffisant, que les accusés pourraient se prendre corps à corps avec les juges, ce qui plaisait fort peu à la pairie, on s’est dit : « Il y a impossibilité de jeter là toutes ces figures républicaines à l’aspect si formidable. » On avait d’abord songé à l’Odéon : l’Odéon est une dépendance de la chambre des pairs ; c’est le grand référendaire qui en a en quelque sorte la direction ; on aurait pu défaire ses stalles, combler son parterre, pour jouer cette ridicule et cruelle parade ; mais c’était jeter un anathème indéfini sur ce malheureux théâtre, qui déjà n’est que trop abandonné. Tout le quartier latin se soulevait à la seule pensée de ce tribunal exceptionnel, si singulièrement improvisé ; puis, MM. les pairs n’étaient pas tranquilles en se rendant dans ce lieu de séances isolé, sans défense militaire ; et la translation des prisonniers eût été difficile. Aussi le projet a-t-il été abandonné. Il en est arrivé un second. Dans notre gouvernement de sécurité et d’avenir, on ne procède jamais que par mesures provisoires ; nous avons eu une salle des députés en bois, une salle d’exposition de l’industrie en bois, un obélisque de Luxor en bois, pourquoi n’aurait-on pas une salle d’audience criminelle en bois ? Cela a plusieurs avantages : d’abord, on multiplie les marchés et les pots-de-vin ; puis cela dure moins, et on a besoin de les renouveler un peu plus souvent. Voici un troisième projet qui se discute : il s’agit d’une salle permanente et d’un crédit de douze cents mille francs. Il y a en certain lieu une sorte de manie de replâtrer les bâtimens élevés par les ancêtres ; les Tuileries ont éprouvé ce badigeonnage, le Luxembourg aura également sa nouveauté. Laissons aux amis des arts le soin de déplorer l’invasion de cette nouvelle bande noire ; une préoccupation plus grave est en nous. Dans ce triste procès, il y aura d’ineffaçables souvenirs, des caractères indélébiles ! juridiction exprès, salle de jugement construite exprès, prison bâtie exprès pour la réclusion des prisonniers ; et s’il y avait arrêt de mort, comme on semble le demander, il faudrait une place exprès pour frapper les condamnés, un bagne exprès pour les contenir, un lieu d’exil exprès pour les déporter, tant ils sont nombreux ! Et dire que le pouvoir avait occasion d’éviter cette cruelle flétrissure historique par l’amnistie, dire qu’avec quelques concessions de prudence et d’humanité on pouvait s’abriter contre les terribles jugemens du présent et de l’histoire ! On serait tenté de penser qu’une main fatale pousse les gouvernemens à des fautes ; tous se perdent par la même cause, tous y reviennent comme poussés par un instinct trompeur. Le voilà donc encore une fois, le trône de juillet, lancé