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traverser la Pampa ; ils n’avaient pas fait cent pas quand ils entendirent hennir les chevaux de la indiada. Ils rentrèrent en toute hâte et s’enfermèrent dans la cour. — Toutes les postes, dans les lieux les plus exposés, sont entourées d’un petit fossé, défendu intérieurement par une haie très épaisse de cactus impénétrables ; il n’y a qu’une seule entrée, fort étroite. — Les Indiens entourent la poste du Lobaton et somment le propriétaire de leur livrer son argent et celui des voyageurs. Cette injonction était faite en langue castillane. — On en a conclu que des Espagnols, pour se venger de l’expulsion de leurs compatriotes, se sont incorporés aux sauvages et dirigent leurs attaques. Cela est faux ; mais il arrive parfois que des gauchos, las de piller pour leur compte, et de vivre ainsi exposés d’un côté à être livrés à la justice, de l’autre à devenir victimes des Indiens, vont se réunir volontairement à ces derniers. — Pour toute réponse, le vieux Cordovez décrocha une carabine rouillée, pendue au-dessous de l’image de santa Rosa, et du premier coup étendit mort un sauvage impatient, qui déjà ébranlait la porte à coups de pieds. Les autres étaient descendus de cheval, et avec leurs lances, leurs sabres, leurs couteaux, essayaient, en se cachant dans le fossé, d’entamer la forte muraille de cactus, tout hérissée de longues épines. À peine avaient-ils pratiqué une brèche, qu’elle devenait pour cette forteresse un créneau par lequel les pistolets des voyageurs vomissaient les balles à bout portant. Alors une grêle de pierres tomba sur les assiégés ; mais les assaillans, rebutés par une défense opiniâtre, découragés à la vue de trois des leurs tués sur la place, et d’un grand nombre de blessés, se retirèrent après trois heures de combat, ayant soin de cacher leurs morts, pour les soustraire aux profanations des vainqueurs. Quand nous nous arrêtâmes à cette poste, trois mois après, le vieux gaucho s’empressa de nous faire voir les tiges de cactus coupés à leur racine, la trace des coups de lance dans la porte ; et les postillons, tremblans encore au récit de cette fameuse bataille, avouaient franchement que, pendant tout le temps de l’action, ils s’étaient tenus blottis au pied du rempart.

De là, cette horde irritée se mit à remonter le Rio Tercero, par la route de Buenos-Ayres à Cordova. Une troupe de chariots était en marche : c’étaient de ces carretas pesantes, traînées chacune par