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cette idée, comme le chasseur un lièvre ; c’est un gibier digne de lui : il n’aura ni repos ni cesse qu’il ne l’ait abattu.

Si la poursuite est difficile, si la défense est vive, si les blessures glissent et n’entament pas, tant mieux : la lutte sera plus glorieuse. Les hautaines railleries, les plaisanteries glapissantes, les triviales incriminations, il n’épargnera rien ; il passera, s’il le faut, un an tout entier à élargir une plaie ; il s’acharnera sans relâche sur l’adversaire qu’il a choisi ; il ne comptera pas les coups portés, pourvu qu’il recueille ses derniers soupirs.

Gloire merveilleuse, gloire chantée par toutes les bouches, estimée parmi nous à l’égal des étoffes les plus magnifiques ! — Ah ! vous croyez, messieurs, qu’on vous écoutera parce que vous avez raison ! vous croyez que toutes les oreilles attentives s’empresseront à recueillir vos paroles ! vous espérez dominer parce que le droit est pour vous ! confians dans la justice de votre cause, vous dites hardiment ce que vous pensez, et vous attendez l’obéissance ! Je saurai bien, s’écrie l’homme d’esprit, déjouer toutes vos ambitions. Vos leçons savantes et sérieuses n’arriveront pas jusqu’à la foule ; je couvrirai votre enseignement de mes éclats de rire et de mes sifflets. De chacune de vos intentions loyales et désintéressées, je ferai une caricature bouffonne ; sur les figures que vous avez dessinées à grand’peine, comme un artiste amoureux de son œuvre, j’inscrirai la grimace et la laideur. Ah ! messieurs les docteurs, vous n’avez pour appui que la vérité, et vous dites follement en vous-mêmes : Nous ne trébucherons pas. La lumière est devant nous, la voie est ouverte, nous marcherons d’un pas sûr et nous arriverons. La vérité, la vérité, à qui donc espérez-vous l’offrir ? à quelle porte irez-vous frapper ? quels yeux dessillerez-vous avec le miroir que vous avez dans la main ? L’ennui, pensez-y bien, l’ennui s’assied aujourd’hui à tous les chevets ; c’est l’ennui qu’il faut combattre ; le rire vaut mieux que la vérité, et vous serez vaincus, car vous avez raison. —

Voilà ce que dit l’homme d’esprit, et franchement l’expérience de chaque jour lui prouve qu’il n’est pas fou ; il se goberge dans son insolence ; aux heures du travail, il s’efforce d’effacer de son cerveau jusqu’aux dernières traces de l’étude pour mentir plus à son aise. Peu à peu, il fait si bien qu’il n’a plus même la conscience