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MUSIQUE DES DRAMES DE SHAKSPEARE.

sa bouche vous parlera de Roméo, alors toutes les voix de votre ame se réuniront en un concert divin ; alors commenceront d’ineffables amours que la voix discordante de l’alouette ne viendra plus troubler à l’aurore. Pensez toujours à Beethoven, assis sur les gazons en fleurs avec Adélaïde, à Mozart rêvant les nuits auprès d’Anna. Surtout gardez-vous bien du découragement ; chantez, et ne nous dites plus que la poésie est morte sur la terre, que toute loyale tentative doit échouer désormais : vaines paroles qui ne servent, je le répète, qu’à voiler l’impuissance. Si la pensée habite en vous, il faut un jour qu’elle se révèle ; il n’appartient à la foule ni d’en retarder l’éclosion, ni d’en modifier la forme. Le sanctuaire où s’élabore le travail divin est trop mystérieux pour que les rumeurs de la place y puissent arriver. Je le sais, le temps est mauvais pour les hommes de conscience. Depuis que l’administration royale est tombée aux mains des entrepreneurs, rien n’a été épargné pour l’exploitation d’un matérialisme grossier, réhabilité de nos jours par l’arrivée au pouvoir des hommes de finance. De partout on a chassé la poésie. À la voix de l’ame et des passions, à la musique, on a voulu faire accompagner je ne sais quelles stupides pantomimes, quelles danses lascives ! Comme les césars romains tourmentaient un esclave dans leurs débauches, des hommes ont mutilé la vierge immortelle pour la faire servir à ces prostitutions ; mais elle s’est enfuie, ne laissant entre leurs mains que le pan de sa robe qui traînait dans les fanges de la terre. Aujourd’hui la bacchante est ivre, et se meurt sans que nul y prenne garde, et quand les airs seront purifiés, quand de nouvelles tiges auront fleuri dans le champ que ses pieds ont foulé, alors la nymphe descendra des montagnes avec le chœur des vierges, et comme aux temps antiques, les peuples courront au-devant d’elle pour lui jeter leurs couronnes, et battre des mains à sa venue.


Hans Werner.