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Viennent ensuite les critiques érudits, gens fort satisfaits d’eux-mêmes, heureux d’être nés et de pouvoir écouter ce qu’ils appellent leur pensée, mécontens de leur siècle qu’ils dominent de toute la hauteur de leur science. Le critique érudit se fait un monde à part où il règne en souverain. Qu’il s’agisse d’un livre ou d’une pièce de théâtre, peu lui importe ; il se lève d’un air grave et posé, il va droit aux rayons de sa bibliothèque, il secoue lentement la poussière de ses in-quarto, il se rasseoit, s’enfonce béatement dans son fauteuil, et d’un doigt patient il feuillète chaque page ; ses yeux parcourent dans une extase angélique les longs récits, les anecdotes babillardes entassées pêle-mêle dans ce précieux trésor. Harpagon en tête-à-tête avec sa cassette, contemplant ses beaux écus qui reluisent au soleil, n’est pas plus heureux que le critique érudit repassant le tableau d’un siècle tout entier pour foudroyer un drame ou un roman. N’ayez peur qu’il néglige une chronique : sa vanité saura bien soutenir son courage ; il ne se fera pas grace d’un pamphlet ou d’une chanson ; il compulsera, s’il le faut, toutes les mazarinades pour parler du coadjuteur en homme qui sait son monde, et qui traite familièrement les plus grandes seigneuries. Voyez sa figure épanouie ! son regard s’anime comme celui de l’alchimiste accroupi sur son creuset ! il vient de poser son livre ; sa tâche est achevée ; il est prêt, il est armé, il baisse la visière de son casque, il entre fièrement dans la lice, il se pavane, il est sûr de lui-même. Que va-t-il faire ?

Il va nous réciter sa lecture, page à page ; il va nous emmener avec lui dans ses lointaines excursions. Prenez son bras et suivez-le ; surtout, faites provision d’obéissance ; avant de commencer le voyage, préparez vos oreilles, résignez-vous au silence ; et quand vous reviendrez, soyez plus humain que lui. Voici au coin de la rue une vieille maison : ici le critique érudit vous arrête ; il vous décrit la forme des corniches, des modillons et des consoles ; il vous donne la date des croisées : vous respirez, mais vous n’êtes pas au bout. — Que pensez-vous du livre nouveau ? — Ce que j’en pense ? L’auteur ne sait pas le premier mot de l’époque où il a placé ses acteurs ; il n’a rien lu, c’est un pauvre homme. Je ne sais vraiment comment il ose écrire ; pourtant quel beau sujet ! quelle mine féconde ! comme les renseignemens abondaient ! L’Espagne,