Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/197

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
193
LETTRES D’UN ONCLE.

les yeux au milieu des ténèbres, rayon qui écartes les nuages et revêts les cieux d’une splendeur inattendue, convulsion de l’agonie où la vie future apparaît, vigueur fatale qui n’appartient qu’au désespoir : viens à moi ! j’ai tout perdu sur la terre.

L’hiver étend ses voiles gris sur la terre attristée, le froid siffle et pleure autour de nos toits. Mais quelquefois encore, à midi, des lueurs empourprées percent la brume et viennent réjouir les tentures assombries de ma chambre. Alors mon bengali s’agite et soupire dans sa cage en apercevant sur le lilas dépouillé du jardin un groupe de moineaux silencieux, hérissés en boule et recueillis dans une béatitude mélancolique. Le branchage se dessine en noir dans l’air chargé de gelée blanche. Le genêt, couvert de ses gousses brunes, pousse encore tout en haut une dernière grappe de boutons qui essaient de fleurir. La terre, doucement humide, ne crie plus sous les pieds des enfans. Tout est silence, regret et tendresse. Le soleil vient faire ses adieux à la terre, la gelée fond, et des larmes tombent de partout ; la végétation semble faire un dernier effort pour reprendre à la vie, mais le dernier baiser de son épouse est si faible, que les roses du Bengale tombent effeuillées sans avoir pu se colorer et s’épanouir. Voici le froid, la nuit, la mort.

Ce dernier regard du soleil au travers de mes vitres, c’est mon dernier espoir qui brille. Aimer ces choses, pleurer l’automne qui s’en va, saluer le printemps à son retour, compter les dernières ou les premières fleurs des arbres, attirer les moineaux sur ma fenêtre, c’est tout ce qui me reste d’une vie qui fut pleine et brûlante ; l’hiver de mon ame est venu, un éternel hiver ! Il fut un temps où je ne regardais ni le ciel, ni les fleurs, où je ne m’inquiétais pas de l’absence du soleil et ne plaignais pas les moineaux transis sur leur branche. À genoux devant l’autel où brûlait le feu sacré, j’y versais tous les parfums de mon cœur. Tout ce que Dieu a donné à l’homme de force et de jeunesse, d’aspiration et d’enivrement, je le consumais et le rallumais sans cesse à cette flamme, qu’un autre amour attisait. Aujourd’hui l’autel est renversé, le feu sacré est éteint, une pâle fumée s’élève encore et cherche à rejoindre la flamme qui n’est plus ; c’est mon amour qui s’exhale et qui cherche à ressaisir l’ame qui l’embrasait. Mais cette ame s’est envolée au loin vers le ciel, et la mienne languit et meurt sur la terre.