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cette divination, qu’ils prennent pour le génie, mérite vraiment plus de compassion que de colère. Oh ! qu’ils feraient bien mieux de lire pendant cinq ans seulement dom Bouquet et Muratori ! Quand ils posséderaient sur le bout du doigt l’histoire des couvens et des châteaux, ils n’auraient plus besoin d’inventer. La poésie est dans l’histoire, et l’histoire est dans la biographie. —


Qu’on ne m’accuse pas d’exagérer délibérément la morgue et l’emphase de la critique érudite. Je raconte sincèrement ce que j’ai entendu, et le plus grand nombre de ces billevesées a passé d’ailleurs sous les yeux du public.

La critique ainsi conçue se réduit à des procédés simples, et n’exige pas de grands efforts de pensée. Ramenée à sa loi la plus générale, ce n’est vraiment qu’une superposition. Ces messieurs font le tour d’un siècle, mesurent l’espace parcouru, et quand il leur faut prononcer sur la valeur d’une œuvre, dont la donnée appartient à l’histoire, ils comptent comme des griefs irréparables tout ce qu’ils ont vu et ne retrouvent pas. Pour leur plaire, à les entendre, le romancier devrait, non pas choisir ce qui lui convient, ce qui sied à sa volonté, mais ne rien omettre. Braves gens qui reprocheraient, s’ils l’osaient, au premier conteur de notre siècle d’avoir ébarbé Rymer et Buchanan.

Si les poètes haussent les épaules en écoutant la critique érudite, on ne peut pas les accuser de fatuité ; leur sourire n’est que justice. L’érudition citant la poésie à son tribunal n’est guère moins ridicule qu’un musicien se prononçant sur le plan d’un palais. Oui, sans doute, la meilleure partie du génie se compose de souvenirs, et ceux qui ont vécu inventent merveilleusement ; mais les livres ne suppléent pas la vie ; les livres sont une lettre morte pour le cœur que la réalité n’a pas éprouvé ! De savoir à créer, il y a l’Océan tout entier. Personne encore n’a vu le pont qui mène de la mémoire à l’imagination.


Pour se consoler de leurs mécomptes, pour attiédir leurs colère, les poètes d’aujourd’hui ont inventé une critique à leur usage, où le public n’a pas grand’chose à voir, qui ne trouble pas leur sommeil, et qui, loin de gêner leur marche, accompagne chacun