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LETTRE POLITIQUE.

circonstances, n’était-ce pas lui indiquer qu’on pouvait se passer de son crédit, et qu’on entrait dans un autre ordre d’idées ? M. de Talleyrand n’avait point oublié que M. Molé avait quitté le cabinet en protestant contre la haute et inconstitutionnelle influence de l’ambassadeur de Londres : il savait que le roi n’ignorait en aucune manière toutes ces circonstances ; or, s’il avait choisi M. Molé pour président de son conseil, c’était dire suffisamment qu’il n’avait plus la même confiance dans l’ambassadeur de l’avénement.

Quand M. Molé se dégoûte de sa mission, avec ce désenchantement qui le saisit lorsqu’il rencontre une difficulté d’affaires, quel homme politique choisit encore le roi pour lui composer un cabinet ? Le duc de Bassano, un de ces hommes de l’empire qui remplacèrent l’influence de M. le prince de Talleyrand auprès de Napoléon, et qui, par leur obséquiosité passive, le perdirent dans de folles conquêtes. La vieille expérience de M. de Talleyrand put s’étonner et sourire tout à la fois à l’aspect de cet assemblage d’incapacités sans antécédens, de cette administration prise on ne sait où, et qu’un diplomate spirituel a appelée l’élixir de la canaille. On avait bien cherché à satisfaire M. de Talleyrand, en désignant, pour les affaires étrangères, M. Bresson, son ancien secrétaire d’ambassade ; mais le chef du ministère était le duc de Bassano, antipathique à la vie tout entière de M. de Talleyrand.

Tout ceci vous explique la date du 9 novembre, qui est au bas de la lettre de démission du prince ; c’est l’époque des petites transactions ministérielles ; M. de Talleyrand n’avait plus rien à faire avec le mouvement et l’impulsion que recevait la France politique. C’était une carrière d’expérience, qui s’ouvrait devant la royauté de juillet ; elle sortait des conditions qui avaient fait reconnaître et saluer son avénement en Europe.

Le ministère ridicule tombe avec l’influence des Maret, des Dupin, et de tant d’autres noms encore mêlés à cet avortement ; l’ancien conseil se reconstitue, et alors les instances recommencent pour retenir encore M. de Talleyrand. On en avait besoin : la grande révolution tory venait de s’accomplir chez nous ; le duc de Wellington prenait la direction du cabinet. À vrai dire, M. de Talleyrand craignait moins les conséquences de cet avénement que la marche inconsidérée des ultra-whigs ; ses sympathies étaient plutôt là. Mais les démarches actives de M. de Talleyrand pour préparer le ministère Grey et la chute des tories en 1830, ne permettaient pas décemment d’aller reprendre son poste à Londres ; il déclara positivement qu’il ne pouvait retourner à son ambassade, insinuant que si l’on croyait sa personne nécessaire quelque part,