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l’inspiration et de l’étude. Il lui faut la poésie pour lui ouvrir les voies, pour cacher parfois sous des fleurs l’aridité du chemin qu’elle parcourt, pour jeter de l’expression sur les figures qu’elle dessine, du mouvement dans ses drames, de la couleur sur ses tableaux. Il lui faut la philosophie pour la guider à travers le dédale obscur des récits qui se heurtent et des opinions contradictoires, pour l’aider à pénétrer dans les secrets du cœur humain, dans les rouages mystérieux qui font mouvoir une grande nation, pour lui apprendre à condenser les événemens, les faits, et à en tirer la conséquence logique. Donnez à l’histoire ces deux appuis, abandonnez-lui l’espace et laissez-la partir ; ce n’est plus cette chronique crédule et jaseuse, qui s’en va de côté et d’autre, glanant des deux mains sur toutes les routes, et mettant toute son ambition à reproduire tout à la fois et sans ordre les choses disparates qu’elle a glanées. Ce n’est plus ce récit maniéré, maigre et sec, ne touchant que du bout de l’aile à la surface des évènemens, craignant de recourir aux sources, et par bon ton, et par paresse, calquant les mœurs et la physionomie des temps anciens, sur les mœurs et la physionomie du salon où on l’accueille. Ce n’est plus cette histoire froidement érudite, qui se présente à nous, poudrée de la poussière des vieux livres, et chargée de parchemins, qui retrace fidèlement, année par année, et s’il le faut, jour par jour, tout ce qui s’est passé, mais sans sortir de son flegme habituel, sans s’émouvoir, sans répandre sur ses personnages un souffle de vie. Non, c’est l’histoire au regard d’aigle, à la voix prophétique, qui se lève de toute sa hauteur, au milieu des nations, et leur déroule solennellement les choses du passé, les leçons de l’avenir. C’est ce voyageur pressé dont parle Edgar Quinet[1], qui s’en va d’un pas gigantesque, à travers les vieux royaumes et les vieilles villes, interrogeant la poussière des tombeaux, la chute des empires, la poésie des ruines, et tirant de toutes ces investigations, une pensée qui remonte à Dieu, degré par degré, comme l’échelle de Jacob, et s’élance vers l’infini.

Aucune époque peut-être n’a présenté, d’une manière aussi complète que celle-ci, les conditions que nous demandons pour remplir

  1. Introduction aux idées de Herder.