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HISTOIRE DE FRANCE.

pourtant fait la grandeur de la race germanique. C’est par là que les vieilles bandes de conquérans de l’empire, groupées chacune autour d’un chef, ont fondé les monarchies modernes. Ils lui donnaient leur vie, à ce chef de leur choix, ils lui donnaient leur gloire même. Dans les vieux chants germaniques, tous les exploits de la nation sont rapportés à quelques héros. Le chef concentre en soi l’honneur du peuple dont il devient le type colossal. La force, la beauté, la grandeur, tous les nobles faits d’armes s’accumulent en Siegfried, en Dietrich, en Frédéric Barberousse, en Rodolphe de Hapsbourg. Leurs fidèles compagnons ne se sont rien réservé[1]. »

Le système historique de M. Michelet repose essentiellement sur une idée de spiritualisme, en ce sens qu’il tend à anéantir l’intérêt individuel des divisions de races et de provinces, les barrières locales, pour tout ramener à l’intérêt général, à l’ensemble des masses, à un principe constant de fusion et d’unité. Nous ne pouvons mieux expliquer son idée principale, qu’en le laissant lui, même parler.

« Diminuer, dit-il, sans la détruire, la vie locale, particulière, au profit de la vie générale et commune, c’est le problème de la sociabilité humaine. Le genre humain approche chaque jour plus près de la solution de ce problème. La formation des monarchies, des empires, ce sont les degrés par où il arrive. L’empire romain a été un premier pas ; le christianisme, un second. Charlemagne et les croisades, Louis xiv et la révolution, l’empire français qui en est sorti, voilà de nouveaux progrès dans cette route. Le peuple le mieux centralisé est aussi celui qui, par son exemple et par l’énergie de son action, a le plus avancé la centralisation du monde.

« Cette unification de la France, cet anéantissement de l’esprit provincial, est considéré fréquemment comme le simple résultat de la conquête des provinces. La conquête peut attacher ensemble, enchaîner les parties hostiles, mais jamais les unir. La conquête et

  1. Introduction à l’Histoire universelle. En citant ce passage de l’Introduction, je ne veux pas oublier de dire qu’elle a été traduite en allemand, avec beaucoup de talent, par M. J. Gehring, qui a joint en outre à sa traduction quelques notes intéressantes sur la philosophie de l’histoire, et sur la manière dont elle est comprise en France.