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elles se trouvaient différentes l’une de l’autre, on apprécie bien mieux cette force de cohésion qui les a rapprochées, ces grandes mêlées du moyen âge où elles devaient se rencontrer et souvent se heurter ; on apprend à reconnaître cette espèce de frottement où elles ont effacé successivement ce qu’elles avaient de trop âpre, de trop saillant, pour pouvoir ensuite s’allier et se rejoindre, et former un ensemble compacte et homogène. Le tableau y perd cependant de son point de vue pittoresque. L’artiste et le poète trouveront peut-être de la monotonie dans cette vaste uniformité, l’artiste et le poète, amoureux des contrastes, des images naïves, des scènes de localité vives et nettement tranchées, regretteront encore ces temps lointains où le génie de la civilisation n’avait pas étendu sur toutes les têtes son froid niveau, ces temps de tournois et de prières, de dévouemens sublimes et de frivolités charmantes. Beau temps où l’on courait, avec la même bonne foi et le même enthousiasme, des jeux du préau aux fêtes de la cathédrale, des séances du puy d’amour au camp du banneret ; où chaque village avait ses miracles et son saint, chaque château sa noble dame et son ménestrel, où la prière et la poésie s’élevaient de toutes parts comme un parfum d’encens, pour se répandre sur la route du pélerin, dans la chaumière du paysan et sous les toits à créneaux du guerrier ! Beau temps où l’on croyait encore à la fée Mélusine et à l’enchanteur Merlin, où la plus humble villageoise de la Bretagne savait par cœur les merveilleuses histoires du roi Arthur et de Lancelot du Lac, bien mieux que ne les racontent les chroniques ; où, quand on était sage, on voyait se lever au mois de mai les trois soleils de la Trinité ; où, quand on regardait le soir une étoile filer, on ne manquait pas de faire le signe de la croix pour l’ame qui sortait du purgatoire ; où l’air, la terre et les flots étaient occupés par une foule d’êtres mystérieux : dans les airs, les sylphes, enfans de l’Orient ; dans les bois et les prés, les lutins souvent gardiens de troupeaux, souvent hôtes de la maison ; dans les montagnes, les nains qui veillent sur des monceaux d’or, et des grottes pleines de rubis[1] ; dans les eaux, les jeunes filles, sœurs des

  1. Goëthe, Erlkonig, der Fischer.