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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

le savant n’entend plus le bruit de la foule qui bourdonne à ses pieds. À mesure qu’il s’éloigne de l’humanité, il espère monter jusqu’à Dieu. Il s’applaudit dans son orgueil solitaire. Il compte chacun de ses pas comme un degré de l’échelle lumineuse. D’heure en heure, il croit toucher aux portes du ciel ; ou, s’il s’arrête pour jeter un regard en arrière, s’il sent fléchir son espérance, il se console dans l’impiété, il trouve la création mauvaise, il ne reconnaît plus de bornes à son pouvoir, il veut réformer ce qu’il a sous les yeux, il tente le destin de Prométhée.

Livrée à elle-même, abandonnée à son inspiration solitaire, libre des passions et de la volonté, affranchie du besoin d’aimer et du besoin d’agir, l’intelligence est une faculté stérile, un égoïsme dévorant, qui se dérobe au mépris des hommes sous le manteau de la science ; mais à coup sûr c’est un rôle incomplet.

Oui, l’étude est un devoir. Mais ce n’est pas le seul que nous ayons à remplir. Comprendre le monde entier, entasser dans sa mémoire les siècles qui ne sont plus, prévoir à quelle heure une mer changera de lit pour maintenir l’équilibre du globe, est-ce là toute la vie ? Après que l’homme a pensé, n’a-t-il plus rien à faire ?

Avant de connaître la vérité, il n’avait qu’une existence étroite et mesquine. Tout entier dans le présent, ne pouvant rien comparer, parce qu’il n’avait pas de souvenir, ne pouvant rien prévoir, puisqu’il n’avait rien conclu, il manquait à sa vocation, il laissait sommeiller une faculté précieuse. Le jour où il connaît la vérité, il double son existence. Mais en s’abstenant d’aimer et d’agir, il encourt une pénalité terrible.

Car, obligé de refouler en lui-même la faculté d’aimer, il doit désespérer d’atteindre à la sérénité suprême de la pensée. Il sera troublé dans son égoïsme hautain. Dans ses aspirations les plus ardentes vers la vérité, il aura de soudaines défaillances et de mortels découragemens. Sur cette puissance si laborieusement acquise, il pourrait asseoir un autre bonheur que le sien, il se reposerait de l’étude dans l’amour. Réduit à la seule science, ses yeux, éblouis et fatigués, perdront un jour leur sagacité pénétrante.

Ce n’est pas tout. Il n’aura pas dédaigné impunément de limiter sa force par l’épreuve de la réalité. Il ne trouvera sa place nulle