Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/296

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
292
REVUE DES DEUX MONDES.

Les réformes apparentes, celle que Ronsard, par exemple, a voulu introduire dans la poésie, sont conduites avec un grand fracas. Vous diriez alors une conspiration plutôt qu’une réforme ; une lutte matérielle, non un travail de pensée ; il y a, dans ces prises d’armes littéraires, un certain mouvement qui séduit, une régularité qui impose. Le chef marche en tête ; il a son cheval de bataille, son panache orgueilleux, son costume pittoresque et son allure martiale ; il nomme ses adjudans qui lui servent d’escorte ; les trompettes sonnent la gloire du conquérant : interrompre ces éclatans concerts, c’est mériter la mort ; les bourreaux ne sont pas loin. Le gros de l’armée suit et chante d’une voix les mêmes louanges : un seul drapeau flotte au-dessus de toutes les têtes ; les goujats même réclament une part de la gloire. Tout cela est très beau.

Mais cette apparente pompe cache un vide fatal ; il n’est jamais permis à l’intelligence de parodier la force physique. L’intelligence ne marche point à la conquête par bataillons envahisseurs. Elle s’isole ; elle ne relève que de Dieu. Elle est puissante surtout dans la solitude ; elle tire sa force d’elle-même ; elle ne s’organise pas administrativement et militairement. Ce qui l’occupe, c’est elle-même, c’est la vérité, c’est l’amour, c’est Dieu. Plus son extase est profonde, moins elle songe à cette matérielle et active distribution des intérêts et des rôles, qui fait toute la vie d’un Bonaparte ou d’un Cromwell. À chacun sa part. À l’homme d’action, le trouble, la couronne, le glaive, le triomphe, la violence, l’ambition, le malheur glorieux ; à lui l’Égypte, les Tuileries, l’île d’Elbe et Sainte-Hélène. À l’homme de pensée, le repos et l’obscurité extérieure ; à lui ces ténèbres qui avivent la grande flamme intérieure dont il est animé ; à lui le courage contre la misère, l’envie, l’indifférence, la conspiration du silence, du dédain et de la sottise. C’est folie de vouloir violenter la pensée ; folie de confondre les deux rôles du conquérant armé et du réformateur intellectuel ; folie de croire que le monde de la pensée se gouvernera comme le monde des faits ; folie d’imaginer que le joug passera sur les idées, comme il passe sur les peuples. En Espagne et en Italie, plusieurs efforts de ce genre ont été successivement tentés. On s’est avisé de greffer de vive force le classicisme français sur la souche