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francisée. L’Angleterre parodie la France : les inspirations de Rochester et des beaux-esprits contemporains leur viennent, non pas de Racine ou de Corneille, mais de d’Assoucy et de Benserade. Plaisante caricature de notre élégance et de notre goût classiques ! Par un malheur inséparable de l’imitation, les Anglais copient nos défauts, et Dryden jette sur la scène, en leur prêtant des tirades ronflantes, des argumentations pathétiques et des générosités sur-humaines, les Clélie, les Cyrus, les Artamène de mademoiselle de Scudéry. Dryden, admirable versificateur, doué d’une pensée mâle, active, pénétrante ; incapable de créer un drame, c’est-à-dire de faire vivre sur la scène des hommes avec leurs passions et leurs caractères ; homme né pour la satire, l’épopée et la discussion ; fit obstinément et fièrement six volumes de mauvaises tragédies et de comédies plus mauvaises encore. Talent perdu, qu’il faut aller déterrer aujourd’hui dans les cryptes littéraires, et dont le détestable emploi nous a privés de quelques œuvres puissantes. La vigueur de versification déployée par Dryden servait les progrès matériels de l’art. Pope se lança dans la même route, avec plus d’habileté, de souplesse et d’esprit. Ce fut Pope qui fit régner avec éclat dans son pays l’influence française.

L’époque de l’influence française sur la littérature de nos voisins, embrasse l’espace occupé par les règnes de Guillaume et Marie, de la reine Anne, et de George ii. Elle est riche surtout en prosateurs élégans, en publicistes et en philosophes ; les noms poétiques de cette époque ne se signalent par aucune forte originalité. Si l’ironie et le doctorat pouvaient servir de muses, on accepterait comme poètes Swift et le docteur Johnson ; des étincelles de sensibilité vive et de mélancolie douce brillent chez Gray, Shenstone et Collins ; mais leur verve est peu abondante : ils ont l’air de craindre leur propre génie, de le comprimer et de lui imposer silence.

Ainsi s’étaient affaiblies et affaissées progressivement et l’inspiration poétique anglaise, et la foi calviniste, et même l’ancien génie de la langue. Des hommes remarquables avaient paru : Johnson n’est pas digne de mépris ; Pope est un admirable poète de salon ; Addison, un observateur plein de sagacité et un prosateur plein d’élégance. Mais sans un renouvellement de sève, sans une réparation de forces, la poésie courait risque de s’éteindre ; et rien ne le