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LETTRE POLITIQUE.

cilier deux principes opposés, et qui tenaient à la situation particulière, aux intérêts intimes des deux puissances qui les proclamaient.

La paix d’Amiens ne fut qu’une trêve ; l’Angleterre et la France étaient engagées dans des voies trop diamétralement opposées ; la puissance maritime de l’une, et la force continentale de l’autre, ne leur permettaient pas d’avoir long-temps l’arme au bras ; il y eut des prétextes plutôt que des motifs de guerre, et l’on se précipita encore dans ce duel de sang qui devait se prolonger pendant douze années, immense lutte où il y eut de part et d’autre de si grands efforts, de si éclatans prodiges.

Dans ce conflit violent, les états de l’Union gardèrent la neutralité. C’était une position magnifique, La France et l’Angleterre avaient besoin mutuellement de leurs produits et elles ne pouvaient les échanger, puisqu’elles couraient l’une sur l’autre, puisque sur l’espace de deux mille lieues leurs flottes se croisaient, leurs corsaires arboraient leur pavillon et désolaient le commerce des deux pays. Les Américains s’offraient comme des intermédiaires, comme des courtiers, pour me servir de l’expression du temps, entre les deux peuples ennemis. Quelle brillante fortune leur était réservée ! Ils achetaient dans les colonies des marchandises à bas prix, et les apportaient en France pour en retirer d’énormes bénéfices ; Anglais et Français se servaient de leur pavillon pour couvrir mille fraudes ; leur fret était à un taux élevé ; ils n’avaient à redouter de concurrence qu’avec les Suédois et les Danois, également neutres. Toutes les grandes fortunes de l’Amérique datent de cette époque ; pendant trois ans, toute fraude fut tolérée : on fermait les yeux, parce que la guerre entre les belligérans n’était point parvenue encore à ce degré d’énergie où tous les moyens sont permis[1].

  1. Voici dans quelles limites l’Angleterre permettait aux Américains de faire le commerce avec la France, et l’on peut juger combien ces prescriptions favorisaient la contrebande des marchandises anglaises :

    « Les navires américains ne peuvent, en aucun cas, faire voile directement des ports des États-Unis pour un port quelconque de l’ennemi en Europe. Les navires américains peuvent aller des ports des États-Unis aux ports des colonies appartenant à l’ennemi, et retourner directement de ces derniers ports à ceux des États-Unis. L’ordre du conseil ne leur ôte pas la faculté d’aller directement des ports de ce royaume aux îles des Indes occidentales possédées par l’ennemi ; et l’on ne prétend pas les empêcher de se rendre de ce royaume dans les ports de l’ennemi avec des productions coloniales, quand le parlement aura fixé les droits qui devront être payés pour une semblable exportation. Les navires américains peuvent continuer de commercer de ce royaume aux ports de l’ennemi, des ports de l’ennemi à ceux de ce royaume, et des ports des alliés de S. M. aux ports de l’ennemi,