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Mariage secret ? L’œuvre de Cimarosa restera, comme l’an passé, oubliée des uns, ignorée des autres, et pour peu que cela dure, tant de poussière épaisse la couvrira, que nul n’osera plus la secouer. Ah ! de grace, pitié pour les chefs-d’œuvre de la grande école. Si les partitions des maîtres pouvaient parler, elles vous diraient : Ingrats, pourquoi nous abandonner ainsi ? Dans des temps moins heureux avons-nous jamais fait défaut à votre appel ? Alors vous n’aviez pas, comme aujourd’hui, des voix incomparables à nous donner. Nous venions sur le théâtre, sans escorte et parées de notre seule pudeur et de notre beauté. Eh bien ! alors la salle était-elle déserte, les yeux manquaient-ils pour nous voir et répandre des larmes à nos célestes mélodies, les mains pour applaudir et jeter des couronnes ? Pourquoi donc aujourd’hui nous refuser à nous, les chastes filles de Mozart et de Cimarosa, ces ornemens sonores que vous prodiguez tant à des courtisanes. Rubini, dirait la partition de Don Juan, divin chanteur que j’ai formé, où trouveras-tu des inspirations plus fraîches et plus sonores que dans mon air si doux ? Reviens, il mio tesoro, et je te donnerai les applaudissemens de la foule, et, ce qui vaut mieux, la conscience d’avoir bien mérité de l’art en chantant de céleste musique ; et toi, reprendrait celle du Mariage secret ; toi, Lablache, dont j’ai soutenu les pas incertains, pourquoi laisses-tu la manière simple et vraiment belle que je t’avais donnée autrefois, quand tu portais l’habit de velours écarlate du bonhomme Géronimo, pour te jeter dans des effets vulgaires, dans de brutales intonations, dignes tout au plus de l’ancien opéra français ? Prends garde, la route que tu suis est fatale et te mène à ta ruine ; arrête-toi, il en est temps encore. Dépouille cette casaque dont tu t’es affublé, pose sur ta tête ronde de puritain la perruque du père de Caroline, et le rire éclatera dans la salle, et tous ceux qui t’aiment pourront au moins t’applaudir franchement, comme ils faisaient autrefois. Ah ! ne nous abandonnez pas, divins chanteurs, attendez au moins que Rossini ait mis au monde une partition nouvelle ; alors nous cesserons nos plaintes, et nous nous consolerons en écoutant les sons du maître ; mais de grace, pour nous remplacer, attendez un autre opéra que les Puritains, un autre homme que M. Bellini.

Voilà ce que diraient les partitions des maîtres, et certes elles auraient raison ; car ce n’est pas un médiocre scandale de voir l’œuvre qui vient de sortir de la tête de M. Bellini, occuper les voix des chanteurs italiens et les loisirs du public, tandis que le Nozze di Figaro, Cenerentola, la dona del Lago, et tant d’autres chefs-d’œuvre, attendent leur tour, qui peut-être ne viendra pas de l’année. M. Bellini a passé l’été dernier à Paris, et sans doute que pendant cette belle saison, il aura visité nos