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travaux fiévreux de la pensée, de divinations maladives et de vertiges sublimes, une nouvelle forme fut donnée à certains esprits, une forme agréable, élastique, qui seule convenait aux esprits éclairés et aux caractères faciles : cette disposition de l’esprit humain qui domine dans tous les temps de dépravation, et chez toutes les nations très civilisées, nous l’appellerons, pour nous servir d’une expression moderne, éclectisme, quoique cette dénomination n’ait pas eu dans tous temps le même sens ; nous nous en tenons à celui qu’elle implique aujourd’hui, pour qualifier la situation morale des hommes qui n’appartenaient à aucune religion, au temps dont il est question ici.

Parmi ces éclectiques, on vit des hommes d’un caractère et d’un esprit tout opposés, des hommes graves et des hommes frivoles, des savans et des femmes ; car cette doctrine, qui consistait dans l’absence de toute règle, accueillit toute sorte de pédantisme et toute sorte de poésie. Les rhéteurs s’y remplissaient l’estomac d’argumens, et les poètes s’y gonflaient le cerveau de métaphores. L’Inde et la Chaldée, Homère et Moïse, tout était bon à ces esprits avides et curieux de nouveautés, indifférens en face des solutions : heureux caractères qui, Dieu merci, fleurirent toujours ici-bas au milieu de nos lourdes polémiques. Grands diseurs de sentences, sincères admirateurs de la vertu et de la foi, le tout par amour du beau et par estime de la sagesse, vrais épicuriens dans la pratique de la vie, prophètes élégans et joyeux, bardes demi-bibliques et demi-païens, intelligences saisissantes, fines, éclairées, pleines de crédulités poétiques et de scepticisme modeste ; en un mot, ce que sont aujourd’hui nos véritables artistes.

Le petit poème qu’on va lire fut récité, en vers hébraïques, sous un portique de Césarée, par une femme nommée Myrza, laquelle était une des prophétesses de ce temps-là, espèce mixte entre la bohémienne et la sibylle, poète en jupons comme il en existe encore, mais d’un caractère hardi et tranché qui s’est perdu dans le monde, aventurière sans patrie, sans famille et sans dieux, grande liseuse de romans et de psaumes, initiée successivement par ses amans et ses confesseurs aux diverses religions qui s’arrachaient lambeau par lambeau l’empire de l’esprit humain. Cette femme était belle, quoique n’appartenant plus à la première jeu-