Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/480

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
476
REVUE DES DEUX MONDES.

le caprice des Esprits à qui Dieu l’avait abandonné : tantôt emporté d’un essor fougueux, il s’approcha du soleil jusqu’à s’y brûler ; tantôt il s’endormit languissant et morne, loin des rayons vivifians que chaque printemps nous ramène. Il y eut des jours d’une année et des nuits d’un siècle. Le globe n’ayant pas encore arrêté sa forme, les froides régions qu’habitent le Calédonien et le Scandinave furent calcinées par des étés brûlans. Les contrées où la chaleur bronze les hommes, se couvrirent de glaciers incommensurables. L’Esprit du feu descendit dans le sein de la terre ; on eût dit qu’un démon enfonçait ses ongles et ses dents dans les entrailles du globe : des rugissemens sourds s’échappaient des rochers ébranlés, et la terre s’agitait comme une femme dans les convulsions de l’enfantement. Quelquefois le monstre, en se retournant dans le ventre de sa mère, sapait les fondemens d’une montagne, et creusait sous les vallées des voûtes sans appui. La montagne et la vallée disparaissaient ensemble, et des lacs de bitume s’étendaient en bouillonnant sur les débris amoncelés ; une fumée âcre et fétide empoisonnait l’atmosphère ; les plantes se desséchaient, et l’eau, appelée par le feu, ravageait à son tour le flanc déchiré de sa sœur.

Enfin le feu s’ouvrit un passage à travers le roc et l’argile, et se répandit au dehors comme un fleuve débordé. La mer, brisant ses digues de la veille, fit chaque jour de nouvelles invasions, et chaque jour déserta ses nouveaux rivages comme un lit trop étroit. On voyait, dans l’espace d’une nuit, s’élever des montagnes de fange ou de cendre, que le soleil et le vent façonnaient à leur gré ; des ravins se creusaient tels que la vie d’un homme voyageant le jour et la nuit n’eût pas suffi pour en trouver le fond ; des météores gigantesques erraient sur les eaux comme des soleils détachés de la voûte céleste, et les vagues de l’océan roulaient sur les sommets que les nuages enveloppent aujourd’hui, bien loin au-dessus de la demeure des hommes.

Dans cette lutte, la terre et l’eau, jalouses l’une de l’autre, se mirent à créer des plantes et des animaux qui à leur tour se firent la guerre entre eux ; des lianes immenses essayèrent d’arrêter le cours des fleuves, mais les fleuves enfantèrent des polypes monstrueux, qui saisirent les lianes dans leurs bras vivans, et leur