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CORNILLE BART ET LE RENARD DE MER.

arrive… le seigneur ne nous faudra pas… vu que bon poisson trouve toujours poèle où frire.

— Et à propos de poisson, mes maîtres, dit Haran-Sauret, d’un air important et mystérieux, je me souviens qu’en une lointaine navigation océanique et périlleuse, nous rencontrâmes une si furieuse mère-baleine suivie d’une file de si terribles baleinons, que nous prîmes la mère-baleine pour un immense promontoire, et les baleinons pour une côte très gigantesque[1] ; et cela est si vrai, que le maître pilote hauturier… un nommé Bugniet, juré d’Ostende… resta d’abord tout ébahi, puis prit son arbalète[2], à cette fin de reconnaître la hauteur de ces terres inconnues et surprenantes, pour…

— Foin !… foin… des bourdes et des lanternes de Haran-Sauret, s’écria le bourgeois en entraînant le groupe qui descendit en grande hâte le degré de maître Cornille Bart, comme pour échapper aux récits exagérés de son vieux serviteur ; puis se trouvant sans doute bien en sûreté en pleine rue, maître Belsen dit encore au marinier… — Fi, fi ! Sauret… nous prendrez-vous toujours pour des oisons ?… Fi, des pareilles pétoffes[3] à nous… qui sommes trop vieux corbeaux pour une telle glue !… Allons, sans rancune, Sauret le véridique, et ne manquez pas de dire à maître Cornille Bart et à mademoiselle[4] sa femme toute la joie que nous ressentons de la bonne nouvelle que vous nous avez donnée sur sa santé.

  1. Voir, comme curieuse preuve à l’appui de l’exagération et des mensonges des navigateurs de ces temps, la très rare histoire de la Navigation de Jean Hugues, avec les annotations de Bernard Paludanus. Amsterdam, in-fol. 1610.
  2. C’est l’instrument que les Chaldéens appelaient le bâton de Jacob. Martin Cortes et Michel Coignet et généralement les matelots l’appellent arbaleste ou flèche, à cause du rapport que cet instrument a en sa figure avec les arcs, flèches et arbalestes communes, et parce qu’en effet lorsqu’on prend hauteur, avec cet instrument, à quelqu’astre, on se met en la posture que se mettrait quelqu’un qui viserait à un but ; il n’y a instrumens dont les nautoniers se servent plus volontiers, soit de jour, soit de nuit, lorsqu’on voit l’horizon, pour prendre l’élévation de quelqu’astre, et par ce moyen connaître la hauteur du pôle et la latitude du lieu où ils sont. (Enseignement du Pilote hauturier. Paris, 1669.)
  3. Pétoffes, vieux mot, sottise, absurdité.
  4. Les seules femmes de gentilshommes étaient appelées madame.