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création régulière que quelques hommes poursuivaient alors sous la sévère discipline du poète normand. On a dit, et avec raison, que Racan était le disciple bien-aimé de Malherbe ; ajoutons cependant qu’il n’était pas le plus docile. Ces maîtres acerbes aiment souvent de préférence ces écoliers d’humeur mutine ; ils se laissent séduire, malgré eux, à ce quelque chose qui leur résiste. Malherbe faisait bonne guerre aux longueurs de Racan, à ses rimes faciles, à ses épithètes traînantes. Racan gardait ses épithètes, ses rimes et ses longueurs, et Malherbe l’aimait avec tout cela. Puis il avait, pour ainsi dire, vu naître ce jeune homme ; il avait été le confident de ses premiers vers, et il trouvait en lui ce scepticisme que lui-même il avait puisé au spectacle des contradictions de son siècle. Racan ne demandait souvent pas mieux que d’obéir ; mais le naturel l’emportait. Souvent le premier à se soumettre, le premier aussi il s’ennuyait de la règle. Malherbe fait un signe, et voilà toute l’école qui s’escrime en sonnets irréguliers. Racan en fait à peine deux ou trois, et s’en lasse. Maynard en fit jusqu’à la mort. Malherbe défend de rimer les dérivés, et même tous mots qui ont entre eux quelque convenance : il ne veut pas davantage des vers rimés en noms propres. Racan s’observe un moment, puis il retourne à ses rimes qui viennent d’elles-mêmes, à ces épithètes naïves qui ont parfois chez lui une grâce virgilienne. Aussi que vouliez-vous qu’il fît, lui, poète de nature, des raisons de Malherbe ? Les rimes rares et difficiles, disait ce dernier, conduisent l’esprit à de nouvelles pensées : c’est-à-dire que le poète allait de la rime à la pensée, comme un mineur qui sonde les rochers, parce que le filon se rencontre souvent en des lieux d’aspect sauvage.

Toutefois, au milieu de cette discussion par articles de notre charte poétique, Racan un jour eut tort contre le maître ; voici à quelle occasion. La stance de six vers est, entre toutes, celle qu’affectionnent nos vieux lyriques ; elle a de la grâce et de l’harmonie, mais à la condition de placer un repos après le troisième vers ; ce repos est nécessaire au rhythme. Malherbe, lorsqu’il vint à Paris en 1605, n’observait pas cette règle. Il traversa, sans la reconnaître, tout le règne de Henri iv ; en 1612, il ne s’y soumettait point encore. Sur la proposition de Maynard, elle fut sérieusement examinée, et Malherbe se rendit. La stance de six vers une fois