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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

On n’attend pas de moi sans doute que j’analyse sa pastorale ; mais, si je l’ai citée, ce n’est pas seulement pour son étendue ; elle a un mérite de détail qu’il faut reconnaître. C’est, dans l’ensemble, une assez pauvre composition. Mais s’il arrive, fois ou autre, qu’à travers les flots de rubans dont il couvre la tête de ses personnages, le pauvre Racan entrevoie la nature, il rencontre alors pour la peindre des traits d’une grâce charmante. Par-delà les brouillards de Paris, il a vu Laroche-Racan. Je vais donc refeuilleter ce livre, recueillant çà et là, sur mon chemin, ces fleurs de nature, dont le parfum n’a pas vieilli. Il faut, pour les atteindre, traverser bien des landes incultes. Ce sont de ces fleurs qui croissent solitairement sous le rocher, ou au bord de quelque ruisseau courant à travers de maigres prairies.

Vous savez l’idylle vantée de Mme Deshoulières, Petits moutons, etc. ; elle est tout entière, moins les fades longueurs, dans ce vers si naturel et si simple :


Petits oiseaux des bois, que vous êtes heureux !


Une bergère raconte qu’elle a vu son amant :


Aussitôt qu’il fut jour, j’y menai mes brebis ;
À peine du sommet je voyais la première
Descendre dans ces prés qui bornent la rivière,
Que j’entendis au loin sa musette et sa voix
Qui troublaient doucement le silence des bois ;
Quelle timide joie entra dans ma pensée !


Il y a, dans ce dernier vers, une délicatesse exquise.

On cite partout deux vers de Théocrite que Virgile a traduits d’une façon charmante ; trouve-t-on que la pensée ait rien perdu de sa naïveté dans les deux vers suivans :


Il me passait d’un an, et de ses petits bras
Cueillait déjà des fruits dans les branches d’en bas.


Ceux-ci rappellent une scène touchante d’Hamlet :


Je crois que la voilà toute triste et pensive
Qui va cueillant des fleurs au long de cette rive.