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REVUE DES DEUX MONDES.

— Aussi les reverrons-nous bientôt, Catherine, car la ville ne peut en effet résister long-temps ; mais pour ce qui est de revenir à la France, c’est autre chose… Dans cette guerre, les Anglais garderont sans doute la ville pour se rémunérer d’avoir prêté leur flotte à la France ; car c’est une honte pour le cardinal, de penser qu’on n’a eu qu’un seul brûlot à envoyer à l’armée anglaise ; oui, Catherine, un brûlot, c’est tout ce qu’on a pu trouver dans les ports du Ponant… Je ne dis rien des galères du Levant, car elles ne peuvent naviguer dehors la Méditerranée, mais aussi bien… femme, assez de ce siége, dit Cornille en se retournant avec peine.

— Plaît au ciel que vous eussiez toujours dit cela, mon ami, et qu’il y a tantôt dix jours vous n’eussiez pas tenté de sortir du canal pour essayer d’enlever cette ramberge d’Angleterre[1] ! alors vous n’eussiez pas été blessé…

— Eh ! que veux-tu, femme ? c’est la chance de la guerre. — Mais dis-moi, mon petit Jean, ajouta maître Cornille, en attirant son fils entre ses jambes, et jouant avec ses grands cheveux, dis-moi donc, mon petit Jean, à quoi penses-tu là, tout triste et tout soucieux comme un écolier qui craint la férule du recteur ?

— Oh ! c’est que… je pense au grand John Brish… mon père, répondit l’enfant d’un ton de colère concentrée.

— Et qu’est-ce que le grand John Brish ?… mon petit Jean.

— Révérence parler, maître, dit Sauret en s’avançant avec timidité, John Brish est le fils de cet ancien bosseman anglais notre voisin, si bien que notre jeune monsieur Jean, depuis que vous êtes blessé, maître, ne peut voir ni rencontrer ce John Brish, sans le bâtonner, s’il a houssine ou bâton à la main, ou bien à défaut, le gourmer simplement à furieux coups de poing.

— Seigneur Dieu, encore des querelles ! dit la pauvre mère effrayée, — et pourquoi cela, Jean… pourquoi battez-vous ainsi cet Anglais ?… juste ciel ?…

— Je bats cet Anglais, ma mère, parce que les Anglais ont blessé mon père, — dit résolument le fils de Cornille Bart ; et ce dernier ne put s’empêcher de sourire.

— Oui, oui, c’est pour cela même, dit Sauret, en secouant

  1. Grand navire de guerre de la force d’une frégate de nos jours.