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ANDRÉ.

cratie paternelle, et le précepteur intimidé tint rigoureusement sa promesse.

Il trouva cette tâche facile à remplir avec un tempérament doux et maniable comme celui du jeune André ; et le marquis, n’ayant pas rencontré de résistance dans tout le cours de cette délégation de pouvoir, ne fut pas trop choqué des progrès de son fils. Mais lorsque M. Forez se fut retiré, le jeune homme devint un peu plus difficile à contenir, et le marquis épouvanté se mit à chercher sérieusement le moyen de l’enchaîner à son pays natal. Il savait bien que toute sa puissance serait inutile le jour où André quitterait le toit paternel ; car l’esprit de révolte était en lui, et s’il était encore retenu, grace à sa timidité naturelle, par un froncement de sourcil et par une inflexion dure dans la voix de son père, il était évident que les motifs d’indépendance ne manqueraient pas, du moment où il n’y aurait plus d’explications orageuses à affronter.

Ce n’est pas que le marquis craignît de le voir tomber dans les désordres de son âge. Il savait que son tempérament ne l’y portait pas ; et même il eût désiré, en bon vivant et en homme éclairé qu’il se piquait d’être, trouver un peu moins de rigidité dans les principes de cette jeune conscience. Il rougissait de dépit quand on lui disait que son fils avait l’air d’une demoiselle. Nous ne voudrions pas affirmer qu’il n’y eut pas aussi au fond de son cœur, malgré la bonne opinion qu’il avait de lui-même, un certain sentiment de son infériorité qui bouleversait toutes ses idées sur la prééminence paternelle.

Il ne craignait pas non plus que, par goût pour les raffinemens de la civilisation, son fils ne l’entraînât à de grandes dépenses au dehors. Ce goût ne pouvait être éclos dans la tête inexpérimentée d’André ; et d’ailleurs, le marquis avait pour point d’honneur d’aller, en fait d’argent, au-devant de toutes les fantaisies de ce fils opprimé et chéri. C’est ce qui faisait dire à toute la province qu’il n’était pas au monde de jeune homme plus heureux et mieux traité que l’héritier des Morand ; mais qu’il jouissait d’une mauvaise santé, et qu’il était doué d’un caractère morose. S’il vivait, disait-on, il ne vaudrait jamais son père.

M. de Morand craignait qu’entraîné par les séductions d’un