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ANDRÉ.

nelle où l’organiste s’oublie. Mais après quelques instans de silence, pendant lesquels André salua timidement et supporta le moins gauchement qu’il put le regard oblique de l’aréopage féminin, une voix flûtée se hasarda à placer son mot, puis une autre, puis deux à la fois, puis toutes, et jamais volière ne salua le soleil levant d’un plus gai ramage. Joseph se mêla à la conversation, et voyant André mal à l’aise entre les deux matrones, il l’attira auprès du jeune groupe.

— Mademoiselle Henriette, dit-il d’un ton moitié familier, moitié humble (note qu’il était important de toucher juste avec la belle couturière, et dont Joseph avait très bien étudié l’intonation), voulez-vous me permettre de vous présenter un de mes meilleurs amis, M. André de Morand, gentilhomme comme vous savez, et gentil garçon comme vous voyez ? Il n’ose pas vous dire sa peine ; mais le fait est qu’il a tourné autour de vous cette nuit pendant une heure, pour vous faire danser, et qu’il n’a pas pu vous approcher ; vous êtes inabordable au bal, et, quand on n’a pas obtenu votre promesse un mois d’avance, on peut y renoncer. Ce compliment plut beaucoup à mademoiselle Henriette, car une rougeur naïve lui monta au visage. Tandis qu’elle engageait avec Joseph un échange d’œillades et de facétieux propos, André remarqua que la petite Sophie, la plus jeune des quatre, parlait de lui avec sa voisine, car elles le regardaient maladroitement, à la dérobée, en chuchotant d’un petit air moqueur. Il se sentit plus hardi avec ces fillettes de quinze ans qu’avec la dégagée Henriette, et les somma en riant d’avouer le mal qu’elles disaient de lui. Après avoir beaucoup rougi, beaucoup refusé, beaucoup hésité, Sophie avoua qu’elle avait dit à Louisa :

— Ce monsieur André m’a fait danser deux fois hier soir ; cela n’empêche pas qu’il ne soit fier comme tout, il ne m’a pas dit trois mots.

— Ah ! mon cher André, s’écria Joseph, ceci est une agacerie, prends-en note.

— Cela est bien vrai, interrompit Henriette, qui craignait que la petite Sophie n’accaparât l’attention des jeunes gens ; tout le monde l’a remarqué, M. André a bien l’air d’un noble, il ne rit que du bout des dents, et ne danse que du bout des pieds ; je di-