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ANDRÉ.

de l’écurie. Depuis que l’évènement terrible était découvert, le marquis n’avait pas quitté la place ; il attendait son fils pour le recevoir à sa manière. De minute en minute sa fureur augmentait, et il se formait en lui un trésor d’injures qui devait mettre plus d’un jour à s’épuiser. Lorsqu’au lieu de la timide figure d’André sur le siége de sa voiture, il vit la mine fière et décidée de Joseph, il recula de trois pas, et avant qu’il eût articulé une parole, Joseph lui sautant au cou, l’embrassa si fort, qu’il faillit l’étouffer. — Vive Dieu ! s’écria le gai campagnard, que je suis heureux de revoir mon cher marquis ! Il y a plus de six semaines que j’ai le projet de vous amener ma famille, mais les femmes sont si longues à se décider pour la moindre chose ! Enfin je n’ai pas voulu marier ma grande sœur sans vous la présenter : la voilà, cher marquis. Ah ! il y a long-temps qu’elle entend parler de vous et de votre beau château, et de votre grand jardin, et de vos étables, les mieux tenues du pays. Ma sœur est une bonne campagnarde, qui s’entend à toutes ces choses-là, et puis voilà les petites, une, deux, trois : allons, mesdemoiselles, faites la révérence. Marie, essuie les pruneaux que tu as sur la joue, et va embrasser monsieur le marquis. Ah ! c’est que c’est un fier papa que le marquis ! demande-lui des dragées, il en a toujours plein ses poches. Ah ça ! cher voisin, vous voyez que j’avais une fière envie de venir vous voir : dès trois heures du matin, j’étais dans la chambre d’André. C’était une partie arrangée depuis hier avec ces demoiselles. Elles en grillaient d’envie. Moi, qui sais que vous êtes le plus galant homme et l’homme le plus galant de France, je voulais vous les amener toutes : car en voilà encore cinq ou six qui ne sont pas mes sœurs, mais qui n’en valent pas moins, et qui voulaient à toute force voir votre propriété. C’est une si belle chose ! il n’est question que de ça dans le pays. Or, je suis venu ce matin pour vous demander votre voiture, votre cheval et votre fils ; André m’a répondu que vous dormiez encore, que vous étiez fatigué de la veille. Je n’ai jamais voulu souffrir qu’on vous éveillât pour si peu de chose ; je n’ai même voulu déranger personne ; j’ai attelé moi-même le cheval, et j’ai emmené votre fils malgré lui, car c’est un paresseux !… Et à propos, comment se porte le bœuf malade ? mieux ? ah ! j’en suis charmé. Voilà donc comment j’ai enfin réussi à vous amener à dîner toutes ces petites