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ANDRÉ.

jeune homme, ne t’es-tu pas montrée avec lui au bal et à la promenade ? Pourquoi ne t’a-t-il pas donné le bras dans les rues ? Pourquoi n’as-tu pas confié à tes amies, à moi par exemple, qu’il te faisait la cour ? Nous aurions su à quoi nous en tenir ; et quand on serait venu nous dire : Geneviève a donc un amoureux ? nous aurions répondu : Certainement ; pourquoi Geneviève n’aurait-elle pas un amoureux ? Croyez-vous qu’elle ait fait un vœu ? Êtes-vous son héritier ? Qu’avez-vous à dire ? Et l’on n’aurait rien dit, parce qu’après tout cela aurait été tout simple. Au lieu de cela, tu as agi sournoisement. Tu as voulu conserver ta grande réputation de vertu, et en même temps écouter les douceurs d’un homme. Tu as gardé ton petit secret fièrement. Tu as accordé des rendez-vous aux Prés-Girault. Tu as beau rougir ! Pardine ! tout le monde le sait, va ! Ce grand flandrin de bourrelier qui demeure en face, et qui ne fait pas d’autre métier que de boire et de bavarder, t’a suivie un beau matin. Il a vu M. André de Morand qui t’attendait au bord de la rivière, et qui est venu t’offrir son bras que tu as accepté tout de suite. Le lendemain et tous les jours de la semaine, le bourrelier t’a vu sortir à la même heure et rentrer tard dans le jour. Il n’était pas bien difficile de deviner où tu allais ; toute la ville l’a su au bout de deux jours. Alors on a dit : Voyez-vous cette petite effrontée qui veut se faire passer pour une sainte, qui fait semblant de ne pas oser regarder un homme en face, et qui court les champs avec un marjolet ! C’est une hypocrite, une prude ; il faut la démasquer.

— Et puis on a vu M. André se glisser par les petites rues et venir de ce côté-ci. Il est vrai que pour n’être pas trop remarqué, il sautait le fossé du potager de Mme Gaudon, et arrivait à ta porte par le derrière de la ville. Mais vraiment cela était bien malin ! Je l’ai vu plus de dix fois sauter ce fossé, et je savais bien qu’il n’allait pas faire la cour à Mme Gaudon qui a 90 ans. Cela me fendait le cœur. Je disais à ces demoiselles : Geneviève ne ferait-elle pas mieux de venir avec nous au bal, et de danser toute une nuit avec M. André, que de le faire entrer chez elle par-dessus les fossés ?

— Je vous remercie de cette remarque, Henriette ; mais n’auriez-vous pas pu la garder pour vous seule ou me l’adresser à moi-même, au lieu d’en faire part à quatre petites filles ?

— Crois-tu que j’eusse quelque chose à leur apprendre sur ton