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espérer de secours, il empoisonne sa femme et ses enfans. Il apprend bientôt après qu’il eût pu les sauver par des issues souterraines. Désespéré, il se fait tuer dans une sortie avec ses braves.

L’idée principale de ce roman était belle et dramatique, si elle eût été fécondée par une main habile ; les détails interminables ne sont que les lieux communs qui traînent depuis dix ans dans tous les romans de moyen-âge. Nous avons ici les personnages obligés du nain, de l’alchimiste, du moine pervers, dont l’auteur protestant a fait un bouc émissaire du christianisme, puis un accapareur, de lâches assassins, un saint prêtre, un fou qui a autant de sens que celui du roi Lear ; enfin la foule avec ses milles lazzis, coulés, comme toujours, dans le moule que Walter Scott avait emprunté à Shakspeare. Le style est diffus ; les réflexions, traînantes et naïvement vides, ne sont soutenues par aucune poésie ; le défaut d’idées n’est suppléé que par un luxe de mots et d’effets du plus mauvais goût ; ajoutez à cela de l’érudition de toutes mains et la connaissance des hommes par les livres. Et pourtant la situation principale est souvent d’un vif intérêt : c’est grand dommage pour l’auteur qu’on ne puisse apprendre à être poète.

Urania, almanach pour l’année 1835. Leipzig.

Voici venir la littérature de nouvel an, littérature estimée chez nos voisins, attendue par les dames avec impatience, et qui ne se borne pas à mettre le génie et l’esprit en gravures, comme on le fait à cette époque chez nous et en Angleterre. Nous ne disons pas pour cela que les Keepsake et Taschenbücher d’outre-Rhin aient très grande valeur, mais on leur en attribue, et c’est déjà beaucoup. D’ailleurs plusieurs de ces recueils ne publient pas de petits vers, et c’est un avantage immense. Et puis, les gravures sont rarement faites pour soutenir les contes et nouvelles, ce qui force les écrivains à ne compter que sur eux-mêmes. Tant il y a que tous les auteurs de quelque renom passent par là, et personne ne s’imagine qu’ils dérogent plus que M. de Boufflers, dans notre bon temps des almanachs des Muses, des Dames, du Parnasse, d’Apollon, etc., etc. L’Urania est distinguée depuis long-temps dans cette littérature annuelle ; c’est le recueil privilégié de M. Tieck, dont la nouvelle est de fondation. Toutes les autres y peuvent manquer, à l’exception de celle-là. M. Tieck pourrait poétiquement compter ses années, non par été ou par hiver, mais par Urania. Il fut un temps où ce conte était remarquable, temps que nous avons peine à nous rappeler. Cette année, M. Tieck, mieux avisé que naguère, a repris son vieux dada, l’éternelle haquenée blanche de la princesse féerique ; c’est toujours la