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REVUE DES DEUX MONDES.

— Depuis trois heures au moins, répondit Henriette.

— Ah ! oui ! reprit Geneviève en souriant : mais, rassure-toi, je ne suis pas encore perdue, j’ai la tête un peu lourde, l’estomac un peu faible, et voilà tout. Je crois que si je pouvais avoir un bouillon, je serais tout-à-fait sauvée.

— J’ai un bouillon tout prêt sur le feu ; le voici, dit Henriette en s’empressant autour du lit de Geneviève avec la satisfaction d’une personne contente d’elle-même. Mais j’ai quelque chose de mieux que cela : c’est une grande nouvelle à t’annoncer.

— Ah ! merci, ma chère enfant ; donne-moi ce bouillon, mais garde ta grande nouvelle ; j’en ai assez pour aujourd’hui : tout ce qui peut se passer dans cette jolie ville m’est indifférent ; je ne veux que les soins et ton amitié. Pas de nouvelles, je t’en prie.

— Tu es une ingrate, Geneviève : si tu savais de quoi il s’agit !… Mais je ne veux pas te désobéir, puisque tu me défends de parler. Je suppose aussi que tu aimeras mieux entendre cela de sa bouche que de la mienne.

— De sa bouche ? dit Geneviève en levant vers elle sa jolie tête pâle coiffée d’un bonnet de mousseline blanche ; de qui parles-tu ? Es-tu folle ce soir ? C’est toi qui as la fièvre, ma chère fille.

— Oh ! tu fais semblant de ne pas me comprendre, répondit Henriette ; cependant, quand je parle de lui, tu sais bien que ce n’est pas d’un autre. Allons, apprends la vérité : il attend que tu veuilles le recevoir ; il est là.

— Comment ! il est là ? Qui est là ? chez moi, à cette heure-ci ?

M. André de Morand : est-ce que tu as oublié son nom pendant ta maladie ?

— Henriette, Henriette ! dit tristement Geneviève, je ne vous comprends pas ; vous êtes en même temps bonne et méchante : pourquoi cherchez-vous à me tourmenter ? Vous me trompez ; M. de Morand ne vient jamais chez moi le soir : il n’est pas ici.

— Il est ici, dans la chambre à côté. Je te le jure sur l’honneur, Geneviève.

— En ce cas, dis-lui, je t’en prie, que je suis malade, et que j’aurai le plaisir de le voir un autre jour.

— Oh ! cela est impossible ; il a quelque chose de trop important