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et l’originalité des poses dans mes ouvrages ; mais c’était peine perdue, et chaque jour je me sentais déchoir. Enfin je m’avisai qu’il serait bon peut-être de songer sérieusement au matériel de l’imitation ; je cherchai à reproduire l’ensemble des traits, et à mesure que j’avançais dans cette voie en apparence toute matérielle, mes portraits s’animaient à vue d’œil ; l’expression naissait d’elle-même, les poses devenaient aussi caractérisées et aussi dissemblables entre elles que les poses même des individus. »

Et voici justement le point admirable que l’école me semble avoir atteint : elle a fait pour toute la peinture ce que mon peintre faisait pour ses portraits : elle a cru enfin qu’on devait mettre le nez au milieu du visage.

ii.

Ces réflexions et celles qui précèdent me servent de transition naturelle à l’un des tableaux les plus remarquables de l’exposition : elles en feront mieux apprécier sans doute le mérite tout-à-fait hors de ligne ; je veux parler du bon Samaritain de M. Forestier. M. Forestier est un homme peu connu de la masse du public, ou mal apprécié par elle. N’ayant exposé qu’à de rares intervalles, et toujours des ouvrages d’un caractère sérieux, froid et guindé, ceux qui l’ont regardé l’ont toujours fait avec plus d’ébahissement que d’admiration ; on sait dans les arts ce qu’est le genre de mérite de M. Forestier, comme on connaît dans les sciences les expériences de M. Ampère ou les problèmes de M. Cauchy : seulement, par malheur pour M. Forestier, il n’en est pas des peintres comme des savans que l’on glorifie sur parole. Ce qui nuit encore à l’intelligence du talent de M. Forestier, c’est qu’il y a évidemment en lui deux hommes, l’artiste académique et le peintre solide et fort : le premier fait méconnaître le second. Une chose nous paraît manquer essentiellement à M. Forestier : c’est le sentiment du geste, et par conséquent la faculté d’exprimer l’action. Dépourvu de cette ressource, M. Forestier a recours à ce que l’académie lui a fait apprendre : il est convenu, il est outré ; il le cède sous ce rapport aux plus académiques de ses contemporains. À côté de cela, M. Forestier conçoit la forme dans le sentiment le plus large et le plus élevé :