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Il prononça ce dernier mot si bas, que Geneviève l’entendit à peine.

— Je crains, lui dit-elle, que vous ne preniez un mouvement de loyauté romanesque pour un sentiment plus fort. Si nous étions du même rang, vous et moi, si notre mariage était une chose facile et avantageuse à tous deux, je vous dirais que je vous aime assez pour y consentir sans peine. Mais ce mariage sera traversé par mille obstacles. Il causera du scandale ou au moins de l’étonnement. Votre père s’y opposera peut-être, et je ne vois pas quelle raison assez forte nous avons l’un et l’autre pour braver tout cela. Une grande passion nous en donnerait et la force et la volonté ; mais il n’y a rien de tout cela entre nous, nous n’avons pas d’amour l’un pour l’autre.

— Juste ciel ! que dit-elle donc ? s’écria André au désespoir. Elle ne m’aime pas, et elle ne sait pas seulement que je l’aime !

— Pourquoi pleurez-vous ? lui dit Geneviève avec amitié. Je vous afflige donc beaucoup ? ce n’est pas mon intention.

— Et ce n’est pas votre faute non plus, Geneviève. Je suis malheureux de n’avoir pas senti plus tôt que vous ne m’aimiez pas ; je croyais que vous compreniez mon amour, et que vous en aviez quelque pitié, puisque vous ne me repoussiez pas.

— Est-ce un reproche, André ? hélas ! je ne le mérite pas. Il aurait fallu être vaine pour croire à votre amour ; vous ne m’en avez jamais parlé.

— Est-ce possible ? je ne vous ai jamais dit, jamais fait comprendre que je ne vivais que pour vous, que je n’avais que vous au monde ?

— Ce que vous dites est singulier, dit Geneviève après un instant d’émotion et de silence. Pourquoi m’aimez-vous tant ? comment ai-je pu le mériter ? qu’ai-je fait pour vous ?

— Vous m’avez fait vivre, répondit André ; ne m’en demandez pas davantage, mon cœur sait pourquoi il vous aime, mais ma bouche ne saurait pas vous l’expliquer ; et puis vous ne me comprendriez pas. Si vous m’aimiez, vous ne demanderiez pas pourquoi je vous aime ; vous le sauriez comme moi, sans pouvoir le dire.