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crois, en lisant ces évanouissemens, ces morts si promptes, me retrouver avec les personnages, assez semblables, du bon abbé Prévost, ou plutôt je me promène véritablement dans les bosquets de Saint-Ouën où Mlle Necker égarait ses rêves, dans les jardins d’Ermenonville où tant de pélerinages allaient s’inspirer. Je comprends sous quelles allées ont erré, de quels ombrages sont sorties en pleurs Mmes de Montolieu et Cottin, et Mme Desbordes-Valmore. Ce ne devait être pour Mme de Staël qu’un séjour passager, une saison de sa première jeunesse. Plus tard,… bientôt,… brisée par le spectacle des passions publiques, avertie peut-être aussi par quelque blessure, elle sera en réaction contre elle-même, contre cette expansion extrême de la sensibilité. Dans son livre de l’Influence des Passions, elle essaiera de les combattre, elle les voudrait supprimer ; mais son accent accusateur en est plein encore, et cette voix qui s’efforce ne paraît que plus émue. Tant d’appareil stoïque aboutit bien vite à Delphine ; elle restera, toute sa vie, le génie le plus entraîné et le plus aimant.

M. de Guibert avait tracé de Mlle Necker, lorsqu’elle atteignait déjà sa vingtième année, un portrait brillant, cité par Mme Necker de Saussure. Ce morceau est censé traduit d’un poète grec, et exprime bien le goût de la société d’alors, celui du Jeune Anacharsis ; les portraits du duc et de la duchesse de Choiseul ont été donnés, on le sait, par l’abbé Barthélemy, sous les noms d’Arsame et de Phédime. Voici quelques traits de celui de Zulmé par M. de Guibert : « Zulmé n’a que vingt ans, et elle est la prêtresse la plus célèbre d’Apollon ; elle est celle dont l’encens lui est le plus agréable, dont les hymnes lui sont les plus chers… Ses grands yeux noirs étincelaient de génie, ses cheveux de couleur d’ébène retombaient sur ses épaules en boucles ondoyantes ; ses traits étaient plutôt prononcés que délicats, on y sentait quelque chose au-dessus de la destinée de son sexe… » J’ai en moi-même sous les yeux un portrait peint de Mlle Necker, toute jeune personne ; c’est bien ainsi : cheveux épars et légèrement bouffans, l’œil confiant et baigné de clarté, le front haut, la lèvre entr’ouverte et parlante, modérément épaisse en signe d’intelligence et de bonté ; le teint animé par le sentiment ; le cou, les bras nus, un costume léger, un ruban qui flotte à la ceinture, le sein respirant à pleine haleine ;