Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 2.djvu/295

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
289
POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

ceux qui tiennent plus particulièrement à l’imagination ; mais elle croit au progrès surtout dans les sciences, la philosophie, l’histoire même, et aussi, à certains égards, dans la poésie qui, de tous les arts étant celui qui se rattache le plus directement à la pensée, admet chez les modernes un accent plus profond de rêverie, de tristesse, et une analyse des passions inconnue aux anciens : de ce côté se déclare sa prédilection pour Ossian, pour Werther, pour l’Héloïse de Pope, la Julie de Rousseau, et Aménaïde dans Tancrède. Les nombreux aperçus sur la littérature grecque, très contestables par la légèreté des détails, aboutissent à un point de vue général qui reste vrai à travers les erreurs ou les insuffisances. Le caractère imposant, positif, éloquemment philosophique, de la littérature latine, y est fermement tracé : on sent que, pour en écrire, elle s’est, de première main, adressée à Salluste, à Cicéron, et qu’elle y a saisi des conformités existantes ou possibles avec l’époque contemporaine, avec le génie héroïque de la France. L’influence du christianisme sur la société, lors du mélange des nouveaux-venus Barbares et des Romains dégénérés, n’est pas du tout méconnue, mais cette appréciation, cet hommage, ne sortent pas des termes philosophiques. Une idée neuve et féconde, fort mise en œuvre dans ces derniers temps, développée par le Saint-Simonisme et ailleurs, appartient en propre à Mme de Staël : c’est que, par la révolution française, il y a eu véritable invasion de barbares, mais à l’intérieur de la société, et qu’il s’agit de civiliser et de fondre le résultat, un peu brute encore, sous une loi de liberté et d’égalité. On peut aisément aujourd’hui compléter la pensée de Mme de Staël : c’est la bourgeoisie seule qui a fait invasion en 89 ; le peuple des derniers rangs, qui avait fait trouée en 95, a été repoussé depuis à plusieurs reprises, et la bourgeoisie s’est cantonnée vigoureusement. Il y a aujourd’hui temps d’arrêt dans l’invasion, comme sous l’empereur Probus ou quelque autre pareil. De nouvelles invasions menacent pourtant, et il reste à savoir si elles se pourront diriger et amortir à l’amiable, ou si l’on ne peut éviter la voie violente. Dans tous les cas, il faudrait que le mélange résultant arrivât à se fondre, à s’organiser. Or, c’est le christianisme qui a agi sur cette masse combinée des Barbares et des Romains : où est le christianisme nouveau