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coup plus de faveur que la violation du sauf-conduit. Cette assemblée en redoutait les suites pour l’Allemagne, et elle aurait mieux aimé ramener Luther que le proscrire. Afin de l’essayer, elle obtint de l’empereur qu’il pourrait rester quelques jours de plus à Worms. Pendant cet intervalle, l’archevêque de Trèves, plusieurs princes séculiers, plusieurs évêques et docteurs entrèrent en conférence avec lui pour le faire céder amiablement ; mais leurs efforts furent inutiles. Luther resta inébranlable, et dit à l’électeur de Trèves en le quittant : — « Il en sera de ceci comme de la prédiction de Gamaliel aux Scribes et aux Pharisiens. Si ma cause n’est pas de Dieu, elle ne durera point au-delà de deux ou trois ans ; mais si elle est de Dieu, vous ne serez pas en état de l’étouffer. »

Luther, après plusieurs conférences, n’ayant pas plus cédé à la persuasion qu’à l’autorité, l’empereur lui fit donner, par l’official de Trèves et par un secrétaire impérial, l’ordre de quitter Worms. Il lui accorda vingt et un jours pour se mettre en sûreté. Luther, en parlant de cette issue de la diète, écrivit à son ami le fameux peintre Lucas Kranach, à Wittemberg : — « J’aurais cru que l’empereur eût appelé un docteur ou en eût appelé cinquante pour vaincre loyalement un moine. Mais il n’était question que de ceci : — Est-ce que ce sont là tes livres ? — Oui. — Veux-tu les désavouer, oui ou non ? — Non. — Va-t-en ! — Ô aveugles Allemands que nous sommes ! »

Le 26 avril, au matin, Luther sortit de Worms, après avoir pris congé de ses amis. La foule qui se pressait sur son passage était émue des dangers qu’il allait courir. Il avait noblement défendu sa cause, il s’était montré simple, convaincu, éloquent, intrépide ; il avait préféré la proscription à un désaveu ; il partait pour l’exil, et après vingt et un jours, il ne devait plus trouver d’asile en Allemagne. Ces sentimens agitaient toutes les ames et les livraient à l’héroïque novateur. Ainsi, la révolution de ses pensées s’achevait par l’intérêt qu’inspiraient ses infortunes.

Le 28 avril, arrivé à Friedberg, sur le territoire de Hesse, il écrivit à l’empereur et aux états de l’empire pour les remercier de lui avoir gardé leur foi. Se regardant comme en sûreté, il renvoya le héraut impérial et prit le chemin de la Saxe. Son projet était d’aller visiter sa famille et ses amis dans le comté de Mansfeldt ;