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brûler ses écrits, d’arrêter ses protecteurs ou ses partisans, de se saisir de leurs biens, et défendait d’imprimer désormais aucun livre en matière de foi, sans l’autorisation des évêques.

Cet édit causa plus de mécontentement que de frayeur en Allemagne ; on fut indigné de voir proscrire, au nom d’une diète allemande, l’homme religieux qui, tout en soutenant ses propres opinions, avait défendu l’argent et la liberté de son pays contre les exactions et la tyrannie de la cour de Rome. Ulrich de Hutten, se rendant l’organe des sentimens éprouvés par ses compatriotes, écrivit : — « Parce qu’il ne s’est pas rétracté, on a condamné l’homme de Dieu ; on l’a renvoyé en lui défendant de prêcher sa parole sur la route ! Ô indignité qui mérite la colère irréconciliable de Dieu ! J’ai honte de ma patrie ! Le moment est arrivé où nous verrons si l’Allemagne possède encore des princes, ou si elle est gouvernée par des statues magnifiquement habillées. »

Après la publication de l’édit, la diète se sépara. — L’empereur Charles-Quint quitta l’Allemagne pour se rendre dans ses pays héréditaires d’Espagne, qu’agitait alors un grand mouvement d’indépendance. Il crut avoir détruit l’hérésie en la proscrivant, et arrêté l’élan des esprits en les replaçant sous l’autorité des évêques ; mais il se trompa. Luther était plus puissant que lui, car lorsque la pensée d’un homme se rencontre avec le besoin d’un siècle, rien ne saurait lui résister. Aussi, peu de temps après le départ de l’empereur, Luther sortit triomphant de sa retraite, et, ce qui n’était à Worms que l’opinion d’un novateur, devint la foi de tout un peuple.

Ainsi, vers le même temps, Colomb ouvrait les mers à l’activité de l’homme, Copernic, les cieux à ses recherches, et Luther des régions sans bornes à son indépendance. Ces trois grands représentans du mouvement moderne donnèrent alors au genre humain, Colomb, un continent nouveau ; Copernic, la loi des mondes ; Luther, le droit d’examen. Cette dernière et périlleuse conquête fut le prix d’une volonté indomptable. Sommé pendant quatre ans de se soumettre, Luther, pendant quatre ans, dit non. Il avait dit non, au légat ; il avait dit non, au pape ; il dit non, à l’empereur. Dans ce non héroïque et fécond se trouvait la liberté du monde.


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