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ANDRÉ.

— Où allez-vous tous les matins ?

— Chez Joseph.

— Où passez-vous toutes les après-midi ?

— À la chasse.

— D’où venez-vous si tard tous les soirs ? de chez Joseph et de la chasse, n’est-ce pas ?

— Oui, mon père.

— Avec votre permission, monsieur le savant, vous en avez menti. Vous n’allez ni chez Joseph, ni à la chasse. Auriez-vous en votre possession quelque beau livre écrit sur l’art de mentir ? Faites-moi le plaisir d’aller l’étudier dans votre chambre, afin de vous en acquitter un peu mieux à l’avenir. M’entendez-vous ?

André, révolté de se voir traité comme un enfant, hésita, rougit, pâlit et obéit. Son père le suivit, l’enferma à double tour, mit la clé dans sa poche et s’en fut à la chasse.

André, furieux et désolé, maudit mille fois son sort, et finit par sauter par la fenêtre. Il s’en alla passer une heure aux pieds de Geneviève. Mais, dans la crainte de l’effrayer de la dureté de son père, il lui cacha son aventure, et lui donna, pour raison de sa courte visite, une prétendue indisposition du marquis.

Le marquis fit bonne chasse, oublia son prisonnier, et rentra assez tard pour lui laisser le temps de rentrer le premier. Lorsqu’il le retrouva sous les verroux, il se sentit fort apaisé, et l’emmena souper assez amicalement avec lui, croyant avoir remporté une grande victoire, et signalé sa puissance par un acte éclatant. André, de son côté, ne montra guère de rancune ; il croyait avoir échappé à la tyrannie, et s’applaudissait de sa rébellion secrète comme d’une résistance intrépide. Ils se réconcilièrent en se trompant l’un l’autre et en se trompant eux-mêmes, l’un se flattant d’avoir subjugué, l’autre s’imaginant avoir désobéi.

Le lendemain, André s’éveilla long-temps avant le jour, et, se croyant libre, il allait reprendre la route de L…, quand son père parut comme la veille, un peu moins menaçant seulement.

— Je ne veux pas que tu ailles à la ville aujourd’hui, lui dit-il ; j’ai découvert un taillis tout plein de bécasses. Il faut que tu viennes avec moi en tuer cinq ou six.