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ANGELO MALIPIERI.

le vaincu avant qu’il ne tombe, qui remercient le ciel du triomphe où ils n’ont rien risqué. Mais les esprits indépendans ont le droit de défendre leur enjeu ; or, dans la partie engagée entre la critique et le poète, l’enjeu n’est autre que la dignité de la raison.

C’est pourquoi nous retenons la cause, et nous parlerons d’Angelo en toute liberté.


Les caractères de cette pièce sont inégalement développés ; Angelo et Rodolfo n’ont pas le même relief que la Tisbe et Catarina. Il est visible que l’auteur a surtout voulu appeler l’attention sur les deux femmes. Avant le lever du rideau, les amis officieux disaient d’une voix fière et triomphante : « Cette fois-ci, messieurs, vous serez bien étonnés. M. Hugo va donner un éclatant démenti à toutes les prophéties. Il va montrer ce qu’il peut faire dans l’analyse des passions. Il a usé du spectacle avec une sobriété exemplaire ; mais il a fouillé le cœur avec une hardiesse inattendue. » Il n’y avait pas, dans toute la salle, un seul spectateur qui ne hâtât de ses vœux l’accomplissement de cette promesse merveilleuse. Voyons si l’amitié s’est trompée.

Tisbe est une comédienne applaudie, enviée, riche, ingénieuse en prodigalités, mais tristement partagée entre deux amours : elle est publiquement la maîtresse d’Angelo, tyran de Padoue pour le compte de Venise ; mais cette livrée splendide pèse comme une chappe de plomb sur ses épaules. Son cœur est engagé sans retour à Rodolfo, qui vit près d’elle sous le nom de son frère. Comment et pourquoi a-t-elle accepté ce honteux marché ? Comment s’est-elle résignée à vendre sa beauté ? nous ne le savons pas. Est-ce la misère ou l’orgueil qui l’a jetée dans les bras d’Angelo ? A-t-elle gardé son ame en livrant son corps ? Veut-elle apprivoiser avec ses caresses le tigre furieux qui déchire en lambeaux les libertés de Padoue ? Cache-t-elle sous la courtisane insouciante une Judith vengeresse ? Le poète ne le dit pas. Mais, par un juste châtiment, Tisbe est dédaignée de celui qu’elle aime. Rodolfo, qu’elle voudrait enchaîner, qu’elle épie chaque jour d’un œil jaloux, dont elle suit tous les pas, n’a qu’un mépris hautain pour ses importunes flatteries. Il n’aspire qu’à se débarrasser de cet amour comme d’un vêtement usé. De quels traits se compose le caractère de Tisbe ? qu’y a-t-il au fond de