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son cheval et passa rapidement auprès d’elle avant qu’elle pût reconnaître Geneviève. En voyant le perfide, à qui elle avait donné rendez-vous, s’enfuir à toute bride avec une femme en croupe, Henriette, frappée de surprise, n’eut pas la force de faire un cri, et resta pétrifiée jusqu’à ce que la colère lui suggéra un déluge d’imprécations que Joseph était déjà trop loin pour entendre. C’était la première fois de sa vie que Geneviève montait sur un cheval ; celui de Joseph était vigoureux, mais peu accoutumé à un double fardeau, il bondissait dans l’espoir de s’en débarrasser.

— Tenez-moi bien, criait Joseph.

Geneviève ne songeait pas à avoir peur ; en toute autre circonstance, rien au monde ne l’eût déterminée à une semblable témérité. Courir les chemins la nuit, seule avec un libertin reconnu comme l’était Joseph, c’était encore une chose aussi contraire à ses habitudes qu’à son caractère ; mais elle ne pensait à rien de tout cela : elle serrait son bras autour de son cavalier, sans se soucier qu’il fût un homme, et se sentait emportée dans les ténèbres, sans savoir si elle était enlevée par un cheval ou par le vent de la nuit.

— Voulez-vous que nous prenions le plus court ? lui dit Joseph.

— Certainement, répondit-elle.

— Mais le chemin n’est pas bon, lui dit-il ; la rivière sera un peu haute, je vous en avertis : vous n’aurez pas peur ?

— Non, dit Geneviève, prenons le plus court.

— Cette diable de petite fille n’a peur de rien, se dit Joseph, pas même de moi. Heureusement que la situation d’André m’ôte l’envie de rire, et que d’ailleurs mon amitié pour lui…

— Que dites-vous donc ? il me semble que vous parlez tout seul, lui demanda Geneviève.

— Je dis que le chemin est mauvais, répondit Joseph, et que si je tombais, vous seriez obligée de tomber aussi.

— Dieu nous protégera, dit Geneviève avec ferveur, nous sommes déjà assez malheureux.

— Il faut que j’aie bien de l’amitié pour vous, reprit Joseph au bout d’un instant, pour avoir chargé de deux personnes le dos de ce pauvre François ; savez-vous que la course est longue ? et j’ai-