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elle n’eut pas d’abord le loisir de songer à lui ; sa pensée et toute sa haine étaient ailleurs[1].

Triste de se voir réduite à une condition presque privée, elle avait sans cesse devant les yeux le bonheur et la puissance de Brunehilde, maintenant tutrice, sans contrôle, d’un fils âgé de quinze ans. Elle disait avec amertume : « Cette femme va se croire au-dessus de moi. » Une pareille idée pour Fredegonde était une idée de meurtre ; dès que son esprit s’y fut arrêté, elle n’eut plus d’autre occupation que d’atroces et sombres études sur les moyens de perfectionner les instrumens d’assassinat et de dresser au crime et à l’intrépidité des hommes d’un caractère enthousiaste[2]. Les sujets qui paraissaient le mieux répondre à ses desseins étaient de jeunes clercs de race barbare, mal disciplinés à l’esprit de leur nouvel état, et conservant encore les habitudes et les mœurs du vasselage. Il y en avait plusieurs parmi les commensaux de sa maison ; elle entretenait leur dévouement par des largesses et une sorte de familiarité ; de temps en temps elle faisait sur eux l’essai de liqueurs enivrantes et de cordiaux dont la composition mystérieuse était l’un de ses secrets. Le premier de ces jeunes gens qui lui parut suffisamment préparé reçut, de sa bouche, l’ordre d’aller en Austrasie, de se présenter comme transfuge à la reine Brunehilde, de gagner sa confiance et de la tuer dès qu’il en trouverait l’occasion[3]. Il partit, et réussit en effet à s’introduire auprès de la reine ; il entra même à son service : mais après quelques jours, on se défia de lui ; on le mit à la question, et quand il eut tout avoué, on le renvoya sans lui faire d’autre mal, en lui disant : « Retourne à ta patronne. » Fredegonde, outrée jusqu’à la fureur de cette clémence, qui lui

  1. Greg. Turon. Hist. lib. VII, pag. 294. — Ibid., pag. 299. — Adriani Valesii rerum francic. lib. xii, pag. 214.
  2. Postquam autem Fredegundis regina ad supradictam villam (Rotoïalensem) abiit, cùm esset valdè moesta, quòd ei potestas ex parte fuisset ablata, meliorem se existimans Brunichildem… (Greg. Turon. Hist. lib. viii, pag. 299.)
  3. Misit occultè clericum sibi familiarem, qui eam circumventam dolis interimere posset, videlicet ut cùm se subtiliter in ejus subderet famulatum… (Ibid.)