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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

semblait une insulte et un défi, s’en vengea sur son maladroit émissaire, en lui faisant couper les pieds et les mains[1].

Après quelques mois, quand elle crut le moment venu de faire une seconde tentative, recueillant tout ce qu’il y avait en elle de génie pour le mal, elle fit fabriquer, sur ses indications, des poignards d’une nouvelle espèce. C’étaient de longs couteaux à gaîne, semblables pour la forme à ceux que d’ordinaire les Franks portaient à la ceinture, mais dont la lame, ciselée dans toute sa longueur, était couverte de figures en creux. Innocent en apparence, cet ornement avait une destination véritablement diabolique ; il devait servir à ce que le fer pût être empoisonné plus à fond, et de telle sorte que la substance vénéneuse, au lieu de glisser sur le poli, s’incrustât dans les ciselures[2]. Deux de ces armes, frottées d’un poison subtil, furent remises par la reine à deux jeunes clercs, dont le triste sort de leur compagnon n’avait pas refroidi le dévouement. Ils reçurent l’ordre de se rendre, accoutrés en pauvres gens, à la résidence du roi Hildebert, de le guetter dans ses promenades, et quand l’occasion serait propice, de s’approcher de lui tous les deux, en demandant l’aumône, et de le frapper ensemble de leurs couteaux. « Prenez ces poignards, leur dit Fredegonde, et partez vite, pour qu’enfin je voie Brunehilde, dont l’arrogance vient de cet enfant, perdre tout pouvoir par sa mort et devenir mon inférieure. Si l’enfant est trop bien gardé pour que vous puissiez l’approcher, vous tuerez mon ennemie ; si vous périssez dans l’entreprise, je comblerai de biens vos parens, je les enrichirai de mes dons et les ferai monter au premier rang dans le royaume : soyez donc sans crainte, et n’ayez aucun souci de la mort[3]. »

  1. Redire permissus est ad patronam : reseransque quae acta fuerant, effatus quòd jussa patrare non potuisset, manuum ac pedum abscissione multatur. (Greg. Turon. Hist. lib. vii, pag. 300.)
  2. Fredegundis duos cultros ferreos fieri praecepit : quos etiam caraxari profundiùs, et veneno infici jusserat, scilicet si mortalis adsultus vitales non dissolveret fibras, vel ipsa veneni infectio vitam posset velociùs extorquere. (Ibid. lib. viii, pag. 324.)
  3. Quos cultros duobus clericis cum his mandatis tradidit, dicens : « Accipite